samedi 17 septembre 2016

Live and let die

"Si tu penses un peu comme moi, alors dis: "Halte à tout". Et maintenant, Papa, c'est quand qu'on va où?" (C'est quand qu'on va où ?,  Renaud)

Grande zébrette devait, il y a quelques jours, travailler sur un thème pour le lycée : 

"Quelle est la différence entre vivre et ne pas mourir".

Vaste sujet...
Parce que vivre c'est profiter de la vie au jour le jour. C'est le Carpe Diem dont j'ai déjà parlé ici.
Ne pas mourir, c'est se mettre devant l'échéance de la fin inéluctable que nous connaîtrons toutes et tous. C'est donc organiser sa vie en fonction de cet événement ultime en cherchant à l'éviter par tous les moyens.

Donc ce chemin vers la mort, nous l'empruntons toutes et tous. Reste à savoir si on marche en souriant ou en ayant d'autant plus peur que le nombre de pas augmente, puisqu'on ne sait pas quand arrivera la fin.

"Il y a ceux qui prendraient un avion, d'autres qui s'enfermeraient chez eux les yeux fermés. Toi, qu'est-ce que tu ferais ? Toi, qu'est-ce que tu ferais ? Il y en a qui voudrait revoir la mer, d'autres qui voudraient encore faire l'amour une dernière fois. Toi, tu ferais quoi ? Et toi, tu ferais quoi ?" (Mourir demain, Pascal Obispo)

Mardi matin (l'empereur, sa femme et le petit Prince), visites à domicile. J'aime bien les visites à domicile, surtout quand j'ai le temps. Le temps d'écouter et de laisser parler les patients.
Pour certains patients âgés et isolés, ma visite à domicile constitue une sorte d'événement de la journée, "LA" chose qui change de la routine et le fait de socialement voir quelqu'un pour parler un peu et rompre la solitude.

Cette patiente est charmante. Toujours un sourire, toujours une parole gentille alors qu'elle n'a pas une vie facile. Mais elle ne se plaint pas.
Je l'écoute. Je la regarde. Elle semble contente de pouvoir me parler de ses petits enfants.
A tous ceux qui seraient tentés de se dire "Ah ben tranquille le doc là, il va chez les gens, il les écoute parler de la pluie et du beau temps, et c'est 33 euros, par ici la monnaie", j'aimerais juste dire qu'ils doivent réfléchir un peu. Quand une patiente parle de ses petits enfants comme elle le fait, elle parle de sa fierté, ça lui fait du bien. Elle me dit implicitement qu'elle n'est pas seule et que d'autres veillent sur elle, surtout ces derniers jours où il a fait si chaud. Cela me permet de voir et jauger son moral. 

Bref, je la regarde et elle sourit. En une fraction de seconde, une étincelle en moi fige cette image et me dit "Il faudra que tu t'en souviennes".
M'en souvenir parce qu'un jour elle ne sera plus là. Parce qu'un jour son chemin s'arrêtera, parce que c'est la vie qui est comme ça.
Parce qu'un jour je repasserai devant sa maison mais elle ne l'habitera plus, comme je passe devant la maison de Jules que j'allais voir en général vers 11h. Il cuisinait encore lui-même tous ses plats. Ca sentait rudement bon chez lui. Et ça me rassurait de me dire qu'il gardait le goût de manger correctement (et ça me donnait faim aussi, j'avoue).

"Les copines, les tontons, tous ces anges à nous, nos divines affections. Qu'on est long, qu'on est long, à dire les je t'aime qu'on pense quand ils s'en vont. Où vont les gens qu'on aime quand ils s'en vont ? C'est pas vrai qu'ça s'arrête, ce s'rait trop con" (Où s'en vont ?, Michel Fugain)

Une des phrases quasi systématiques prononcées par les internes qui viennent en stage au cabinet est "Ca fait plaisir de voir des personnes âgées qui vont bien". Parce que d'habitude les personnes âgées qu'ils sont amenés à côtoyer sont plus souvent dépendantes, très altérées voire grabataires, dans les services hospitaliers.
Mais il y a une chose qui me marque encore plus : l'absence de peur de la mort. Ce n'est absolument pas une résignation fataliste. Loin de là, même.
Bien souvent, les patients âgés ont des phrases comme "Oh vous savez, j'ai fait mon temps, j'ai bien vécu" ou encore "Oh ben la faucheuse est déjà passée plusieurs fois, mais elle ne m'a pas bien fauché, je suis encore debout, faudra qu'elle repasse".

Ils ne sont pas inquiets. Je revois le sourire de ce patient qui m'avait dit cette dernière phrase il y a une semaine. Il m'avait bien fait rire par sa spontanéité. Je trouvais la formule tellement appropriée à son cas et tellement bien tournée.
Je suis peut-être passé pour un fou si on m'a vu lui chuchoter dans un léger sourire en forme de boutade complice "Finalement, elle est quand même repassée et vous l'avez laissée réussir cette fois" quand j'ai constaté son décès à domicile il y a 3 jours.

Je pense que les patients que je côtoie ont majoritairement choisi de vivre. C'est une formidable leçon d'optimisme que je me prends régulièrement en pleine figure. Ils ont choisi de se dire que ce qui arrive doit arriver et qu'on n'y peut rien changer, sauf à chercher à se battre contre des moulins à vent.

Un ami m'avait dit un jour "Tu n'arrêtes jamais une minute, tu es un peu hyperactif sur certains points... Tu caches une forme de peur de la mort, et tu cherches à te prouver que tu es vivant en multipliant les activités".
Je ne sais pas s'il a raison.
Je sais juste que chercher à ne pas mourir serait épuisant.
Je préfère vivre, pleinement, sans compter les heures, les jours, et en me laissant guider par la passion... et en épuisant sans doute un peu mon entourage parfois 

dimanche 4 septembre 2016

Strapontin

"You have to show them that you're really not scared. You're playin' with your life, this ain't no truth or dare. They'll kick you, then they beat you, then they'll tell you it's fair, so beat it" (Beat it, Michaël Jackson)
(Tu dois leur montrer que tu n'as pas vraiment pas peur. Ils jouent avec ta vie, ce n'est pas "action ou vérité". Ils te mettront des coups de pied, te battront, puis ils te diront que c'est réglo, alors bats-toi)

Je suis resté 4 mois sans rédiger et pourtant ce billet me démange depuis longtemps.
Je n'ai pas pris le temps de le faire avant. Je n'ai pas eu envie sans doute non plus. Parce que je sais qu'il ne va pas forcément plaire, ou qu'il va m'attirer toute une série de trolls, ou qu'il va laisser complètement indifférent.

Bref...

Je ne comprends pas ce qui se passe ces derniers temps. Ou je ne le comprends que trop bien et c'est cela qui m'inquiète un peu plus...
J'ai plusieurs fois eu l'occasion d'écrire des billets "bisounours" et j'y écrivais combien Twitter, qui m'a beaucoup apporté personnellement et professionnellement, était sans doute un nid à Bisounours.

Mais les choses changent. C'est normal. C'est bien, même, parce que si rien ne changeait jamais, la vie serait particulièrement ennuyeuse je trouve.
Plusieurs échanges sont venus écorner cette espèce de bienveillance qui régnait initialement là-bas.

Il y a eu cette charge en règle contre l'amie Arnica parce qu'elle avait ironisé sur le lien entre maladie de lyme (due à une bactérie) et un traitement miracle que serait le régime sans gluten (où l'on supprime le blé de l'alimentation). Je ne vois toujours pas le lien entre ces deux choses ni comment on peut prétendre qu'il y ait un lien direct et infaillible entre elles.
J'ai pris position (mon bâton de pèlerin comme dirait Christine) pour tenter de dialoguer.
J'ai bien senti qu'une patiente essayait par tous les moyens de me faire dénigrer les patients atteint de Lyme, de nier leur douleur. J'ai bien été clair : en tant que médecin (et qu'être humain aussi) je comprends la douleur que ces patients atteints de Lyme peuvent ressentir et les répercussions sur leur vie de tous les jours. En tout cas j'imagine le calvaire que cela peut être, même si je ne le vis pas moi-même.

Puis il y a eu cet échange houleux impliquant une patiente qui voulait "casser le fémur" d'un ou une interne (je ne sais plus et je ne pense pas que ce détail soit important) parce qu'elle laissait souffrir son enfant. Et je livre là une version édulcorée de l'échange.
Je comprends la détresse et la colère des parents qui voient souffrir leur enfant. Je ne peux que trop bien l'imaginer. La colère excuse cela.
Mais quand, avec un peu de recul, les propos sont maintenus avec la même virulence, je m'interroge.

"Place je passe, je suis roi de mes rêves, souverain des libertés. Osez, rendez grâce à ce fou qui se lève. Place je passe, je suis roi de mes rêves, souverain de mes idées. Osez, rendez grâce au vilain épris de nobles pensées" (Place je passe, Mozart l'Opéra Rock)

Oui, je me demande comment on peut à ce point en vouloir à l'autre pour lui nier sa condition d'être humain et le respect que nous devons à celle-ci.
J'ai bien tenté d'échanger en indiquant que la bienveillance dans le notion de soins était réciproque. On me l'a reproché.

Et finalement, après coup, je me dis que j'avais tort. Je me suis trompé. Il ne s'agit pas de bienveillance. Les patients n'ont pas à être bienveillants avec leur soignant. Ils sont dans une situation de plus grande faiblesse et ce n'est pas à eux, en plus, de prendre soin de celui qui doit le soigner. 

Non, en fait, ce que j'ai faussement et maladroitement appelé "bienveillance" était pour moi une forme de respect. De respect de l'autre. De l'autre en tant qu'être humain.
Pas de respect avec un genou à terre, ce n'est pas de la dévotion. 
Mais il me semble qu'il est possible de ne pas être d'accord avec quelqu'un, voire d'être franchement opposé à lui/elle et à ses idées, sans pour autant en venir aux injures, aux menaces et au dénigrement.

Plus le temps passe, plus je me dis que ces "nobles pensées" qui sont les miennes, sont au mieux vaines, au pire complètement utopistes.

Alors je ne suis pas un saint, loin de là. Il y a des personnes que je ne supporte pas, qui m'énervent ou que j'espère secrètement ne jamais croiser dans la rue. Mais je ne vais pas aller le leur dire. Cette agressivité mènerait à quoi ?
A faire mal à l'autre ? Sans doute.
A me faire du bien ? Peut-être, en ayant eu l'impression de mettre battu et d'avoir pris l'ascendant...
Mais ça mènerait à quoi ? A montrer que je ne respecte pas l'autre.

"Est-ce qu'on a vraiment tout fait quand on a fait de son mieux ? Qu'est-ce qu'il restera de tout ça dans un siècle ou deux ? J'ai pris du plaisir, essayé de construire un peu, j'ai défié le temps, l'espace et quelques dieux. Mais qu'est-ce que j'laisse à ceux qui naissent ?" (Je laisse, Michel Fugain)

Je fais de mon mieux pour respecter.
Mais où est la limite entre diplomatie et malhonnêteté ?
Parce que ne pas dire ce qu'on pense à l'autre, est-ce vraiment le respecter ? Parce que ceux qui vous disent clairement les choses en face, elles, sont honnêtes et franches.
Et puis en général, même si vous vous en payez plein la figure et que vous rapportez la discussion à quelqu'un qui vous connaît tous les deux, la première réponse sera "Oh mais tu le/la connais... Il/Elle est comme ça".
Donc, si on excuse la franchise, il vaut mieux tout dire. Mais si on dit tout, on respecte moins ce que peut ressentir l'autre, puisqu'on est un peu égoïste au point de tout dire pour se soulager soi-même.

Parce que le respect vaut pour tout le monde.
Du saint des Saints qui n'a jamais rien fait de mal dans sa vie à celui qui a commis les pires atrocités. Parce que ne pas respecter un seul être humain, c'est ne pas respecter l'humanité entière, à mon sens.

Si vous avez tenu bon la lecture jusqu'ici, vous êtes en train de vous dire que je vais me présenter au concours Miss France 2017 je fais une "bisounoursite aiguë".
Ah mais non en fait, je viens de faire une blague sexiste qui sous-entendrait que les femmes, et les Miss en particulier, seraient (insérez ici toute remarque sexiste de votre choix).

Mais faire une blague (si nulle soit elle) sans arrière pensée aucune, est-ce manquer de respect ? Est-ce qu'on peut rire de tout ?
J'ai l'impression que c'est de moins en moins possible.
J'éclate de rire quand mes amis gays me disent "Cette activité (insérez ici une activité estampillée virile) c'est pas un truc de pédé !".
J'éclate de rire parce que je respecte l'auto-dérision. Je trouve qu'elle est la marque des êtres humains sincères. J'estime avoir de la chance car beaucoup de mes amis ont cette faculté.
Mais si cette blague était écrite sur Twitter, je suis certain qu'elle soulèverait un tonnerre de protestation. 

Il me semble pourtant que rire et respect peuvent être compatibles. On peut rire de tout. On doit rire de tout. Rire pour ne pas oublier qu'on existe. Rire pour adoucir le fait que l'issue sera la même pour tout le monde.
Rire et respecter.
S'arrêter si le rire choque. Etre diplomate là aussi ?

"Je ne sais pas comment te dire, j'aurais peur de tout foutre en l'air , de tout détruire. Un tas d'idées à mettre au clair depuis longtemps, mais j'ai toujours laissé derrière mes sentiments" (Je ne sais pas, Joyce Jonathan)

Je n'aime pas trop la voix de cette chanteuse. C'est pas mon truc. Mais est-ce pour autant que je dois dénigrer ceux qui aiment ? Non. Dois-je éviter de la citer ici, alors que les paroles collent bien au reste du billet ? Je ne crois pas.

Ne pas être d'accord, mais respecter. Ne pas être d'accord, mais accepter que l'autre puisse être différent de soi. 

"Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites,mais je me battrai jusqu'au bout pour que vous puissiez le dire" (Evelyn Beatrice Hall... même si certains ne sont pas d'accord et l'attribuent à Voltaire...)

Parce que oui, on me dit souvent que je me fatigue pour rien quand je tente de dialoguer sur Twitter avec certains représentants de patients qui pensent tout savoir sur tout, certains représentants administratifs qui pensent en savoir au moins autant, et certains médecins qui ont les mêmes certitudes.

Personnellement, je sais que je ne sais pas grand chose. Je sais que je fais des erreurs. Beaucoup. Dans le modèle judéo-chrétien dans lequel j'ai été élevé, je ne sais pas si jai gagné ma place au paradis... pas sûr d'avoir fait assez de bien autour de moi pour cela.
Par contre, si cela se joue sur le critère "respect de l'être humain", j'ai peut-être une chance d'avoir un strapontin...