lundi 7 mars 2016

Mutation

"Et j'ai trouvé dans mon carnet à spirales, tout mon bonheur en lettre capitale à l'encre bleue aux vertus sympathiques sous des collages à la gomme arabique" (Le carnet à spirale, William Sheller)

26 décembre 2005.
Premier jour de travail pour moi. Rien que pour moi.
J'avais bien travaillé seul depuis plusieurs semaines. Après tout, j'avais fini mon internat au 1er novembre 2005 et j'étais déjà thésé depuis juin 2004 et mon futur prédécesseur avait quitté le cabinet pour commencer sa nouvelle carrière professionnelle.
Mais, lenteur administrative oblige, tout était prêt pour le 26 décembre.
Plongeon dans le grand bain

Activité à plein régime dès le départ.
J'applique les règles que j'ai apprises en cours (enfin, pour les quelques cours adaptés à mon métier que j'avais reçus à l'époque), celles que j'ai apprises lors de mon stage chez le praticien aussi.
Je prescrivais des mucofluidifiants (pour les non médecins, ce sont des médicaments inutiles), parfois du Maxilase (pareil) des sirops (pas beaucoup mieux), du Tanakan (j'implore le pardon de mes amis médecins)... et je recevais la visite médicale (et oui...)

"C'est à peu près l'heure où ils éclairent les fontaines, où je sors un peu pour prendre l'air, enfin où je traîne. J'essuie les regards de tous ceux qui ne m'aiment pas trop et je comprends très bien tout ce qu'ils peuvent dire derrière mon dos.

J'ai tant de choses à me reprocher mais je n'y peux rien. A franchement parler, ça ne me fait rien, je n'y peux rien." (A franchement parler, William Sheller)

On m'avait "élevé" dans l'idée qu'il y avait les généralistes d'un côté et les spécialistes de l'autre. Qu'on travaillait un peu chacun de notre côté, que c'était normal, le monde médical fonctionnait comme cela.
Et je m'en moquais un peu.
Les patients, eux, étaient dès le départ le centre de mon intérêt et ce que pouvaient penser de moi les autres collègues m'importait beaucoup moins.
Je n'étais pas parfait (je ne le suis toujours pas d'ailleurs, heureusement), mais j'essayais de faire de mon mieux. En toute bonne foi.

Je participais à des "soirées de formation" par l'industrie pharmaceutique. Le thème annoncé était à chaque fois très sympa. Les intervenants prévus aussi. Mais, à une exception près, j'ai toujours été déçu. Mon estomac était rempli, mais je n'étais pas meilleur médecin.
Un soir, je suis allé à une formation "un peu plus" indépendante (mais pas totalement, de mémoire, il y avait quand même des stands de l'industrie dans le couloir) sur la vaccination.
L'expert était un médecin généraliste.

Un médecin généraliste. Un généraliste ?? Pas un infectiologue, ou un pédiatre ? Mais quelle drôle d'idée !

Et... le gars debout en face de nous parlait du quotidien de mon métier. Très concrètement. La vaccination que je faisais au cabinet. Pas la théorie de ce qu'on est censé faire dans le monde de Oui-Oui.
J'ai adoré.
Je suis allé voir l'intervenant à la fin. Il enseignait à la faculté.
Je lui ai demandé comment faire pour les rejoindre, parce qu'enseigner m'intéressait. Cela m'a toujours intéressé d'ailleurs (j'aurais choisi d'être prof de bio si je n'avais pas eu ma première année).
Bref, il m'a dit "Attention tu vas mettre le doigt dans l'engrenage, et tu ne pourras plus faire machine arrière"

Nan, pas de souci... je gère... (Là, vous pouvez éclater de rire. Et une fois que vous avez fini, recommencez à rire en lisant la suite)

"Faut pas penser à demain, faut pas dormir au hasard, et tu tiens. J'irai jusqu'au bout du chemin et quand ce sera la nuit noire, je serai bien. Et je regarde ceux qui se penchent aux fenêtres, j'me dis qu'il y en a parmi eux qui m'aimeraient peut-être" (Oh ! J'cours tout seul, William Sheller)

Je suis allé à la fac pour me former à la maîtrise de stage. C'était en 2008. Installé depuis 3 ans, j'apprenais à recevoir des externes en stage.
Formation sans labo. Super intéressante, même si quelques mots sortaient tout droit d'un dictionnaire de pédagogues que je ne connaissais pas. 
"- Et ça c'est le paradigme d'apprentissage
- Le para... quoi ???"

J'ai rejoint le collège des enseignants. Pareil, ils parlaient parfois une langue que je ne connaissais pas, mais je me suis accroché.
Je faisais d'autres choses, j'ai brisé une petite routine qui tendait à s'installer.
J'ai rencontré des enseignants passionnants et passionnés.
J'ai rencontré des étudiants tout aussi passionnants et j'ai gardé de très bons contacts avec certains.

"Sous deux semelles de gomme, il tire un jean étroit du bas, dans un blouson rouge-pomme, deux contrebasses au bout des doigts. Il shoote dans des boites de bémols, il se fout du style il n'a pas bien suivi l'école. Mais il plane comme un jumbo entre les murs du son. C'est comme un labyrinthe autour de sa maison. On le trouve un peu bizarre mais Symphoman est né d'un rêve oublié là, qui pétille à mon oreille, tout comme les murs d'un verre de Mozart-soda" (Symphoman, William Sheller)

J'ai commencé à m'investir de plus en plus à la fac, dans l'enseignement. Moi qui ai longtemps hésité à devenir prof de bio, j'étais comblé et le suis toujours par l'enseignement. J'ai entamé une mutation. Je ne pouvais plus être le même médecin.
Mon emploi du temps n'étant pas extensible, j'ai dû faire des choix pour maintenir mon équilibre, le fameux trépied dont je parlais dans un de mes premiers billets sur ce blog.
L'un de ces choix a été de diminuer un peu mon activité de soin.

Pour soigner mieux. Enfin, je le pense. Prendre le temps d'expliquer. Passer de 4 rendez-vous par heure à 3 pour ne pas être trop en retard.
Pour être un peu plus investi à la faculté. Pour participer à la vie de l'université parce que je suis persuadé que si l'on veut y obtenir une place, il faut la gagner à force de travail.
Je sais que j'ai sans doute bénéficié d'une forme d'effet d'aubaine. Je suis arrivé au bon moment dans l'équipe et j'ai pu obtenir un poste.
Mais comme je ne veux pas de cet effet d'aubaine, j'ai repris mes études aussi. Un master 1 l'année dernière. Master 2 cette année et l'année prochaine.
Mériter cette place.

Mais être moins au cabinet, c'est se le faire reprocher par certains patients. Non, non, je ne suis pas en vacances quand je ne suis pas dans mon bureau, mais bien souvent, je suis à la fac, je suis chez moi en train de bosser pour la fac... Ou je suis en train de chanter parce que j'aime ça et que ça me fait penser à autre chose.
Et puis j'ai croisé la route de Twittos, j'ai mis un tout petit orteil dans la sphère médiatique et j'ai vraiment aimé cela : télé, radio...

Je suis passé pour un mec un peu barge pour certains, à force de faire un peu de tout. A force d'être heureux de tout aussi. A force d'être optimiste en tout et tout le temps. J'ai aussi renvoyé une image du "mec qui fait plein de trucs et qui ne dit jamais non".
Et je ne disais jamais vraiment non. Au début.

"Encore un jour tout seul où tout fout l'camp. Tu vois, j'n'ai jamais su tell'ment parler aux gens. J'suis mal dans ma peau, j'ai un peu froid dans l'dos. Lent'ment, douc'ment, je coule comme un bateau, j'suis un mauvais capitaine, j'suis un mec qui traîne auquel on tourne le dos" (Simplement, William Sheller)

"Je voulais juste te dire qu'on est plusieurs à s'inquiéter pour toi. On te trouve un peu plus triste, moins enjoué. T'es sûr que ça va ?"

Novembre 2015.
A trop charger la barque, elle prend un peu l'eau.
Les évènements du 13 novembre ont mis à mal ma confiance en l'homme. La vie est si courte...

Je n'ai plus peur de dire non, mais j'envoie un peu promener aussi. J'aimerais ne pas culpabiliser de ne pas savoir tout faire et pourtant je ne peux m'en empêcher.
Alors je me raccroche à des choses toutes simples : la famille, les amis, et j'apprends à être égoïste et faire ce que j'ai envie de faire.
Je rate des réunions où ma présence était requise parce que j'ai pris d'autres engagements. Avant j'aurais fait mon possible pour faire les deux, quitte à dormir moins, quitte à ne pas être raisonnable.

Je lisais ce matin le billet de Docteurmilie "Burn out : moi jamais".
J'avais commencé à écrire ce billet samedi, en revenant d'une réunion à Paris. Je pensais bien le finir en évoquant un peu cette période de novembre 2015 aujourd'hui derrière moi (oui je rassure mes proches, je vais bien... Vous avez dû vous rendre compte que c'était pas la grande forme, mais là je suis redevenu aussi hyperactif et épuisant qu'avant, c'est un signe qui ne trompe pas !)
En lisant ce billet d'Emilie, je me suis dit : bah dis donc... les plus optimistes ont aussi leurs creux de vagues. On n'est pas des super héros finalement.
Et c'est mieux, nous sommes humains.

"Quel que soit le temps que ça prenne, quel que soit l'enjeu, je veux être un homme heureux" (Un homme heureux, William Sheller)

Etre heureux ça se décide aussi, au quotidien.
Comme en s'offrant, en amoureux, un concert de William Sheller, extrêmement bien placé. Même si, pour la peine, on rate une réunion un vendredi soir.
Parce que ça fait du bien. Parce que c'est un musicien et un chanteur extraordinaire. Au moins aussi extraordinaire que son humilité.
Parce que ça recharge les batteries.
Parce ça donne aussi des idées de billets de blog avec des chansons, pour une fois, d'un seul interprète et tellement belles...