samedi 6 décembre 2014

Enough is enough (Trop c'est trop)

"Il existe un monde virtuel et différent, où chaque seconde fait de nous des combattants. Notre seul espoir est de tout reprogrammer. On ira, on saura sauver notre existence, se donner une chance de tout effacer. On ira, on saura sauver notre existence pour refaire un monde sans danger [...] On vous promet de donner le maximum, contre la menace et de sauver tous les hommes" (Un monde sans danger, Générique TV de "Code Lyoko")

Ok, ok..
Je veux commencer un billet des plus sérieux et je cite en tout premier le générique d'un dessin animé que mes zèbres adorent...
Mais à bien y regarder je me dis que les paroles collent parfaitement au sujet que je veux aborder...
Une idée ?...

La future Loi de Santé, qui devrait être débattue en 2015 à l'assemblée.
Le monde virtuel et différent serait pour moi le monde un peu feutré (en tout cas tel que je le perçois) des cabinets ministériels. Je me demande lequel d'entre eux a déjà mis les pieds dans un cabinet de médecine générale toute une journée...

Lors de la présentation de la Stratégie Nationale de Santé, qui faisait office de travail préparatoire à la future loi, j'étais plein d'espoir. Je me disais qu'enfin, les choses bougeaient.
Notre ministre donnait le sentiment de vouloir sortir de l'hospitalocentrisme, sans pour autant faire de l'hospitalobashing.
Juste faire une juste place à la médecine ambulatoire à côté, et non à la place, de la médecine hospitalière.

Et la traduction dans le projet de loi de santé ? Exit tout ce qui donnait espoir, ou presque.
Toute l'attention a été focalisée sur le Tiers Payant Généralisé (TPG) parce que c'est vendeur, que les médias aiment bien, et que ça fait un peu le remake de Germinal de Zola... Les nantis versus le petit peuple.

Alors parlons tout de suite du TPG. Ce sera fait et on pourra (enfin) discuter du reste.
Je l'ai d'ailleurs promis à un ami qui s'étonnait que je sois "contre" cela.
Je ne suis pas contre.
Pas du tout, même. 
Je pratique DEJA le tiers payant. D'accord, sur la part obligatoire, ce qui fait que les patients qui n'ont ni CMU, ni Affection Longue Durée (ALD) prise en charge à 100%, je leur demande de régler 6,90€.
C'est cette somme que leur mutuelle leur remboursera, s'ils ont une mutuelle.
Parfois, des patients en grande difficulté me demandent s'ils peuvent me régler avec un différé, me demandent d'encaisser un chèque un peu plus tard ou même, promettent de venir me régler dans quelques jours ces 6,90€ et ne viennent pas.
Heureusement qu'ils ne le font pas tous, sinon, je mettrais la clef sous la porte...

Alors, de fait, si on me propose une solution de TPG, qui permettra aux patients défavorisés (trop pour me payer ces 6,90€ mais pas assez pour bénéficier de la CMU) je suis d'accord.
Mais là où je commence à coincer un peu, c'est quand je me demande comment je vais récupérer ces fameux 6,90€ ... enfin ces x fois ce montant, pour chaque patient.
Car il existe plusieurs centaines de mutuelles en France. Si je dois me fendre d'un courrier pour chacune des mutuelles pour réclamer ce montant là... Multiplié par le nombre de patient....

"Maman dit que lorsqu'on cherche bien, on finit toujours par trouver. Elle dit qu'il n'est jamais très loin, qu'il part très souvent travailler. Maman dit travailler c'est bien, bien mieux qu'être mal accompagné, pas vrai ? Où est ton papa? Dis-moi où est ton papa !" (Papaoutai, Stromae)

"Oh mais ça ne prend que cinq minutes, enfin ! Et les pharmaciens le font déjà !"
Oui, 5 minutes par patient. J'en vois en moyenne au moins 20 par jour.
Je rajoute donc 1h40 de travail par jour.
Travailler plus pour gagner... ? Rien en plus... et passer moins de temps en famille... 

Citez-moi une seule profession qui accepterait de passer près de deux heures de plus de travail par jour pour ne rien toucher de plus.
A ma connaissance, en France, il n'y en a pas...
On va vachement donner envie aux jeunes de venir s'installer en médecine générale avec ça, c'est sûr...

Et c'est là que le politique est habile. Si nous, médecins, refusons le TPG, nous sommes ces riches nantis qui ne veulent pas aider la population.
Si nous acceptons le TPG, il n'existe AUCUNE garantie à l'heure actuelle qu'il soit simple à réaliser et ne nous demande aucun travail supplémentaire.
Parce que, concrètement, si le TPG fonctionnait efficacement, nous devrions passer la carte vitale du patient dans notre lecteur, la CPAM nous rembourserait les 23€ et basta...
Ensuite, comment la CPAM se débrouille pour se faire rembourser par les mutuelles, ce n'est plus mon problème.
Dans ces conditions là, je suis pour le TPG.

Alors j'entends bien les sirènes du "c'est une médecine étatisée" "nous deviendrions à la tutelle de l'Etat pour notre rémunération"...
J'avoue que ça, je n'en ai pas particulièrement peur.
On peut même me proposer le salariat, je suis preneur. Mais je doute que cette solution soit celle choisie en hauts lieux.

Et les pharmaciens ?
Oui, en effet, ils font ça depuis des années. Ils ont bien souvent un mi-temps, voire plus, pour s'occuper de cela.
Leur modèle économique est bâti en tenant compte de cette contrainte.
Alors, oui, nous, médecins, nous pourrions embaucher pour faire ce travail. Pas de souci.
Mais, concrètement...
Vous accepteriez, vous, pour votre métier, qu'on vous donne 1h40 de travail en plus obligatoire par jour pour maintenir votre salaire, travail que vous pouvez faire faire par quelqu'un que vous aurez à payer, sans compensation de revenus ?

Voilà. Tu vois Gabriel, je ne suis pas contre ce TPG. Mais pas n'importe comment.

Mais toute cette discussion, sans même avoir une seule fois abordé notre niveau de rémunération. Nous sommes les médecins les moins bien payés d'Europe à quelques exceptions près. Nous sommes la spécialité la moins bien payée de France.
Alors oui, les pouvoirs publics (et un peu les médias, il faut le reconnaître) surfent sur cette vague germinalienne des nantis qui demandent encore plus d'argent.

Il ne s'agit ni plus, ni moins, que de demander à être payé "normalement". Qui accepterait sans sourciller en France, d'être payé parfois 2 fois moins cher que nos voisins européens, pour le même travail ?
Jusqu'à présent, les médecins généralistes râlaient un peu, mais n'allaient pas beaucoup plus loin. Nous gagnons bien notre vie, bien sûr. Au prix d'horaires de travail un peu fous bien souvent. Mais tout est fait pour nous faire culpabiliser d'oser réclamer un peu de "justice" dans notre rémunération (oui, "Justice" est le mot à la mode partout en ce moment. Comme "Pacte" ou "Citoyen". On en met à toutes les sauces, mais on ne sait plus trop ce que ça veut dire en réalité).

"Notre seul espoir, est de tout reprogrammer..."

Quand je vous disais que cette chanson pouvait s'appliquer à cela...
Notre espoir : réécrire une partie de ce projet de loi

"On vous promet de donner le maximum, contre la menace et de sauver tous les hommes" 

J'ai l'impression que dans nos rangs, les choses bougent.
La goutte d'eau qui fait déborder un vase déjà trop rempli.
On parle de faire pratiquer les vaccins par nos collègues pharmaciens.
Soyons clairs : Vacciner, c'est un jeu d'enfants : désinfecter la peau, prendre la seringue, la planter dans l'épaule, injecter, retirer la seringue.
Voilà. 
Pas sûr même qu'il faille être pharmacien pour cela.

Michèle Delaunay m'avait invectivé sur Twitter en m'expliquant cela.
J'aime quand les gens qui n'y connaissent rien me prennent pour un ignorant.

Parce que si pratiquer le vaccin est enfantin, décider de vacciner, choisir quel vaccin, sur des arguments purement scientifiques et non marketings, là, ça demande réflexion.
Et je pense que les collègues pharmaciens sont déjà un peu trop occupés pour devoir en plus s'en charger.
Sans compter que, dans la majeure partie des cas, les vaccins, nous les faisons au cours d'une consultation pour un autre motif... (Traduisez par : "Tu la vois venir mon augmentation inutile des dépenses de santé ?")

Donc, ne pas s'y tromper : si la grogne monte, c'est SURTOUT pour le bien de nos patients !

"Souviens-toi, était-ce mai, novembre, ici ou là, était-ce un lundi ? Je ne me souviens que d'un mur immense, mais nous étions ensemble, ensemble nous l'avons franchi" (Ensemble, Jean-Jacques Goldman)

La Stratégie Nationale de Santé avait fait la part belle à l'enseignement de la médecine générale. Les moyens allaient être mis noir sur blanc dans la loi.
Enfin !

Dans le projet de loi... Juste une ligne... pour dire que tout cela sera discuté avec le Ministère de l'Enseignement Supérieur. (Traduisez par : "Tu la vois venir l'absence de mesure concrète dans ma future loi ?")

Pourtant, enseigner la médecine générale, c'est donner envie aux jeunes médecins de s'installer. C'est prouvé.

"Read my lips and they will tell you : Enough is enough is enough is enough" (Read my lips, Jimmy Sommerville)
(Lis sur mes lèvres et elles te diront : trop c'est trop) 

A priori, j'ai un peu l'impression que tout le monde s'en fout en hauts lieux... J'espère avoir tort...

Mais, pour la première fois de ma vie (si on exclut une grève de garde quand j'étais externe pour obtenir le repos de sécurité) je vais faire grève.
Je n'aime pas ça.
Je veux dire, je n'aime pas laisser mes patients sans solution de soins. Quand je ne suis pas là, j'ai un remplaçant, ou mon interne en SASPAS quand je donne cours à la fac.
Mais là...

Le mur à franchir est immense.
Allons-nous le franchir ?

Comme je le disais dans l'un de mes tous premiers billets "Le jour où les généralistes s'éveilleront..."