jeudi 20 juin 2013

Anonymous

"If you don't know me by now, you will never know me" (If you don't know me by now, Simply Red)
(Si désormais tu ne me connais pas, tu ne me connaîtras jamais)

J'ai eu le privilège de croiser la route de quelques-uns de mes collègues médecins et twittos IRL (In Real Life, dans la vraie vie).
Un immense privilège pour moi. Au moins aussi immense que l'admiration que je leur porte. A eux, mais aussi à leurs blogs respectifs, et tout ce qu'il font pour la médecine générale, la faire connaître de tous et surtout des étudiants en médecine. Changer les préjugés, fausses images véhiculées par ceux qui ne connaissent pas ce métier.

Je l'ai écrit dans l'un de mes tout premiers billets : si je tiens ce blog aujourd'hui, c'est grâce à eux.
 Ils m'ont encouragé à écrire, moi qui n'osais pas me lancer parce que je n'allais de toute manière pas leur arriver à la cheville.
Et ils m'ont dit de le faire quand même.
Et je ne les remercierai jamais assez pour cela.

Ecrire me fait du bien.
C'est narcissique, égoïste, mais oui, ça me fait d'abord du bien à moi.
Et il faut aussi reconnaître que quand je regarde les statistiques de passage sur mon blog, voir qu'en un an maintenant, plus de 25 000 pages ont été consultées, ça me fait encore plus plaisir.
Et je dois donc vous remercier, vous, qui prenez le temps de lire mes billets remplis de chansons kitsch...


Lors d'une IRL donc, on m'a posé la question "Pourquoi n'es-tu pas anonyme, et est-ce que ce n'est pas plus compliqué pour toi ?"
Et d'emblée j'ai répondu ce que je réponds quand on me demande cela : Mon blog ne relate pas les cas de mes patients. Je n'expose aucun détail médical d'une consultation. Je ne transgresse pas le secret médical et donc pas de réel souci avec mon anonymat.

Quant à dire pourquoi je ne suis pas anonyme... bon... soyons franc : le jour où j'ai créé mon compte Twitter, il y avait une case à remplir avec le nom, une autre avec le prénom, et en bon élève discipliné, j'ai rempli les cases. Pas une seule seconde je n'ai imaginé que je pouvais prendre un pseudonyme, ni que cela pouvait être utile.

"Ton histoire au fond n'appartient qu'à toi, elle fera partie de ces rêves qu'on ne vit qu'une fois. Ton nom bien gravé dans la mémoire des gens qui t'offraient leur doute immense pour seul encouragement" (Alléluia, Lara Fabian)

Oui, mais...
Parce qu'il y a un mais...
On m'a fait plusieurs fois le reproche d'avoir deux casquettes.
Enfin, deux surtout parmi plusieurs.
Je ne suis pas anonyme et j'ai la bonne idée d'être motivé par mon métier, par son enseignement, et un peu touche à tout.
Tout cela m'a conduit, sans que ce soit une seule seconde prémédité, à la présidence du Syndicat des Enseignants de Médecine Générale.
Je n'en parlerai pas plus et vous renverrai directement au site internet du syndicat si vous voulez savoir de quoi il s'agit.
Très très rapidement, on m'a dit "il faudra peut être que tu choisisses la casquette que tu veux assumer". Surtout que cela arrivait après l'opération #PrivésDeDésert et la médiatisation qui en avait découlé.

Donc, être blogueur et engagé n'était pas visiblement compatible.
On m'a dit encore très récemment qu'il pourrait y avoir confusion des messages entre mon statut de blogueur et le poste que j'occupe.

Et je me pose la question encore et encore : est-ce à ce point antinomique ? Ou est-ce que la blogosphère, quand on ne la connaît pas, entraîne une part de méfiance vis-à-vis de ceux qui y sont actifs ?

Je n'arrive pas ce soir à comprendre pourquoi ce reproche m'est régulièrement fait.
J'aurais été anonyme, agirais-je différemment ?
Je ne crois pas.
Alors, me dire que c'est juste une forme de peur de l'inconnu me fait peut être plus accepter cette critique.

"For a strange kind of fashion, there's a wrong and a right. But he'll never, never fight over you" (The Riddle, Nick Kershaw)
(D'une sorte de mode étrange, il y a un vrai et un faux. Mais jamais il ne se disputera avec toi)

Non, je n'ai pas envie de rentrer dans un quelconque conflit.
J'ai mon équilibre et tenir ce blog en fait partie.
J'ai des idées que j'assume sur mon métier et ce que j'estime que devrait être son enseignement. Selon la formule consacrée "Mes tweets et mon blog n'engagent que moi".

Parce que, penser que j'aurais accepté d'endosser une fonction "nationale" pour y servir un intérêt particulier (mais faut m'expliquer lequel), ou pire encore, que je ne saurais pas faire la part des choses entre ce que je fais à titre personnel, et ce que je fais à titre professionnel, ce serait me manquer de respect.
C'est comme si on me reprochait d'aimer le disco et la musique des années 80, de raconter des blagues qui ne volent parfois pas très haut, sous prétexte que je ne peux pas être médecin et personne civile.
Assez surprenant que ces reproches viennent de collègues embarqués avec moi sur le même bâteau.

"Seigneur, protégez-moi de mes amis. Quant à mes ennemis, je m'en charge" (Voltaire, inspiré par Antigone II, Roi de Macédoine)

vendredi 7 juin 2013

Nobody's perfect

"Nobody's perfect. Nobody's perfect. What did you expect ? I'm doing my best" (Nobody's perfect, Madonna)
(Personne n'est parfait. Personne n'est parfait. A quoi vous attendiez-vous ? Je fais de mon mieux)

Je discute régulièrement avec des collègues qui ne sont pas maîtres de stage des universités (MSU) ... en gros qui ne reçoivent pas d'étudiants en stage dans leur cabinet et ne veulent surtout pas en recevoir.

Alors, bon, il faut quand même reconnaître que je ne suis peut-être pas un bon exemple de MSU et que je joue peut être un peu le rôle de repoussoir.
Je suis gentil, bien élevé, je parle correctement et je me lave tous les jours.
Le problème n'est pas là, non.

Le problème est qu'ils pensent qu'être MSU, c'est faire ce que je fais : recevoir les internes, aller donner cours à la fac, avoir les réunions le soir, diriger des thèses...
Alors qu'être MSU, c'est d'abord et avant tout être MSU. Recevoir en stage de futurs médecins généralistes en espérant leur transmettre un peu de notre métier pour qu'ils se forment et deviennent à leur tour des médecins généralistes. Le reste, je le fais parce que je suis motivé et que j'aime ça aussi, il faut bien l'avouer.

Mais parfois... parfois...

Je me dis que ce n'est pas facile d'être MSU.
Imaginez un peu la pire journée qui soit, où tout part dans tous les sens, des bilans de diabète deséquilibrés, des découvertes de cancer, un décès...
Cette journée même, où, quelque part, on finit par être bien content d'être seul dans son cabinet et de ne pas avoir à tout expliquer tout justifier.
Ne pas avoir à admettre que la prise en charge n'a peut-être pas été optimale, voire, pourquoi pas, que l'on a commis une erreur de diagnostic ou de traitement.

Et bien être MSU, c'est avoir quelqu'un avec soi, qui regarde ce que l'on fait et qui n'en perd, en général, pas une miette.

C'est vivre parfois un grand moment de solitude. On explique le matin à son interne que les statines (médicaments contre le cholestérol) en prévention primaire n'ont rien prouvé (en diminution de mortalité chez des patients sans facteur de risque).
On reçoit une patiente l'après-midi avec... une statine prescrite depuis des années, sans raison finalement, et que l'on a soi-même renouvelée...

"J'verrai dans ses yeux tous ces petits défauts, parce que parfait n'est plus mon créneau" (Parce que c'est toi, Axelle Red)

Ca c'est la version pessimiste de la fonction.
Mais je suis un enseignant de médecine générale optimiste.
Parce que, montrer qu'un médecin est humain et peut parfois se tromper c'est une bonne forme d'apprentissage du métier je trouve.
Prouver qu'il faut toujours avoir l’œil ouvert sur tout pour ne pas sombrer dans la routine. Aussi montrer que la maîtrise de stage profite (je l'espère) à l'interne en formation, mais aussi à son MSU. Un contrat gagnant-gagnant.

Oui mais...

Et le patient dans tout ça ?
Il y gagne quoi, lui ?
Il y gagne la possibilité d'avoir une prise en charge au plus près des données validées de la science. Il y gagne de ne pas recevoir de la poudre de perlimpinpin parce que ça fait vachement bien de traiter les rhinopharyngites avec 7 médicaments sur l'ordonnance, quand aucun n'est nécessaire à la guérison par Dame Nature.
Il y gagne la possibilité de vivre, en principe, un peu plus vieux, mais aussi de vivre toute la partie avant le grand voyage dans les meilleures conditions qui soient. En tout cas, sans effet iatrogène, c'est-à-dire sans que certains de ses problèmes de santé ne soient causés par le médecin et le traitement prescrit.

Alors, être MSU c'est une démarche de qualité je trouve.
De qualité des soins immédiatement.
Mais aussi de qualité des soins pour les futures générations : les internes formés deviendront médecins et j'espère MSU et transmettront ce savoir réactualisé sans cesse.
Le cercle vertueux de la santé finalement.

"Il y mettait du temps, du talent et du cœur. Ainsi passait sa vie au milieu de nos heures. Et loin des beaux discours, des grandes théories, à sa tâche chaque jour, on pouvait dire de lui : il changeait la vie" (Il changeait la vie, Jean-Jacques Goldman)

Etre MSU c'est également enseigner un concept important que l'on oublie parfois : le patient peut tout entendre et tout comprendre.
Leur expliquer que le traitement qu'ils ont depuis des années et bien... on va l'arrêter, parce qu'il n'est plus nécessaire au regard de la science actuelle.
Que non, il ne sert plus à rien.
Je leur dis en rigolant à mes patients qu'heureusement que la médecine a évolué, sinon je leur mettrais encore des sangsues et leur ferait des saignées...
On peut chercher à "déprescrire" si cela est dans l'intérêt du patient.

Non.

On DOIT déprescrire SURTOUT si c'est dans l'intérêt du patient.
Et lui expliquant, en prenant le temps, tout est possible.
Oui, être correctement soigné ne veut pas dire jouer au millefeuille en ajoutant un traitement à un autre en permanence.
C'est aussi parfois en retirer quelques-uns. Pour leur bien. Parce qu'ils ne feront pas vivre plus vieux, ni dans de meilleures conditions.

"I work all night, I work all day to pay the bills I have to pay. Ain't it sad ?" (Money, Money, Money, ABBA)
(Je travaille toute la nuit, je travaille tout le jour pour payer les factures que je dois régler. C'est-y pas triste ?)

Expliquer prend du temps.
Dommage que le temps soit de l'argent avec ce paiement à l'acte. Je suis persuadé que certains confrères prendraient plus le temps s'ils n'avaient pas cette obsession de rentabilité chevillée au corps.

Mais être MSU c'est aussi enseigner que l'on peut faire une médecine de qualité sans être à plaindre financièrement.
On ne roule pas en Ferrari, soit.
La médecine française est sous payée par rapport à nos voisins européens, soit.
J'aime pourtant enseigner que ce n'est pas une raison pour faire la course à l'acte.
Le tout étant d'aimer son métier, pouvoir se lever le matin en ayant envie d'aller travailler.

Et pouvoir se regarder dans la glace en se disant : Personne n'est parfait. Personne n'est parfait. Je fais de mon mieux.