lundi 31 décembre 2012

Bonnes résolutions

" 'Cause we’re only human. Oh yes we are, only human. If it’s our only excuse, do you think we’ll keep on being only human? Oh yes we are, only human, so far, so far" (Only human, Jason Mraz)

Il y a quelques jours, je lisais l'excellent billet de @docteurmilie ici .

Comme elle, j'aimerais pouvoir être parfait : toujours d'humeur égale, toujours souriant, toujours débordant d'énergie, toujours créatif.
J'aimerais aussi ne jamais râler ou ronchonner, ne jamais avoir de petits coups de blues, ne jamais avoir une crise de flemmingite aiguë.

Un médecin, ça se doit d'être parfait, tout le temps.
Un médecin a l'obligation de moyens, mais nous nous imposons, plus ou moins, une obligation de résultats.

J'aimerais tellement être tout le temps performant. Toujours savoir gérer mes patients de façon optimale.
Toujours être disponible, précis et clair quand je donne mes cours.

Bref, un monsieur zéro défaut.

Et pourtant, des défauts, j'en trimbale un sacré nombre. Plus ou moins gênants, plus ou moins encombrants, mais des défauts qui, je suppose, font de moi ce que je suis.
L'idéal serait peut-être d'avoir des défauts et ne pas s'en rendre compte pour donner l'illusion d'être parfait ?

Non, cela voudrait dire que l'on ne se connaîtrait pas suffisamment bien soi-même. J'ai déjà cité Socrate et son célèbre "Connais-toi toi-même". Je préfère me connaître, savoir à quoi je dois faire attention pour tenter de lisser ces aspérités.

D'un autre côté, les gens sans défaut, je n'en connais pas. Ou peu. Ou alors, je ne les connais pas assez pour savoir quels sont leurs défauts.
Parce que, il faut le reconnaître, quand on se rend compte que ceux que l'on côtoie et admire sont, eux-aussi, imparfaits, cela a quelque chose de rassurant. Une espèce de sensation de normalité qui nous envahit et nous fait dire que l'on n'est peut-être pas si mauvais en fin de compte.

"C'est ta chance, ta force, ta dissonance. Faudra remplacer tous les "pas de chance" par de l'intelligence. C'est ta chance, pas le choix. C'est ta chance, ta source, ta dissidence. Toujours prouver deux fois plus que les autres assoupis d'évidence, ta puissance naîtra là" (C'est ta chance, Jean-Jacques Goldman)

Ah, cette angoisse de performance, encore elle.
J'avais un maître de stage de médecine générale, au cours de mon internat, qui m'avait dit un jour une phrase qui m'avait choquée.
"Ton contrat de soins s'arrête au moment où tu honores ta part du contrat en prodiguant tes soins, et le patient la sienne en te règlant la consultation".
J'avais trouvé cela choquant parce que cela introduisait la notion de contrat, qui plus est, de contrat rémunéré.
Je ne suis pas certain de toujours réussir à m'appliquer cette notion.
J'ai du mal à clore un dossier difficile. J'entends par là, clore "psychologiquement".
Je ne compte plus les fois où je suis rentré énervé chez moi parce qu'un patient n'avait pas été pris en charge comme je l'aurais souhaité par un confrère, ou parce que je ne me suis pas estimé suffisamment bon dans ma prise en charge personnelle du patient. Et Pardon à ma petite femme qui m'accueille ces soirs là.
Quand il fait beau, et qu'il n'est pas trop tard (ce qui n'arrive pas très souvent, malheureusement), je mets les baskets et je file courir un peu dans la campagne mi-française mi-belge juste derrière chez moi. Je rentre un peu soulagé. Provisoirement, mais c'est toujours cela de pris.

Mais, je me sens bien souvent comme @Fluorette, dans son magnifique billet (ici).
Je n'arrive pas à tout chasser de mon esprit. Ce n'est pas facile. J'envie ceux qui ont un métier qui leur permet de ne plus y penser une fois franchie la porte de leur entreprise.
Je ne les envie que quelques secondes, parce que je sais que ce métier que j'ai choisi est celui qui me convient le mieux. Et je regretterais sans doute si je n'avais pas pu être médecin généraliste.

Alors, j'essaye de prendre sur moi, et de le montrer le moins possible à mon entourage. Pour qu'ils n'aient pas à subir les inconvénients de mon métier.
Mais ils me connaissent trop bien pour savoir décrypter mon visage et mes comportements et se rendre compte quand cela ne va pas.
Encore une fois, le mythe du mari et du père parfait restera un mythe.
Mais cela fait sûrement encore de moi celui que je suis.

En cette veille de Nouvelle Année, si je devais prendre une bonne résolution, ce serait sans doute d'apprendre à accepter les imperfections, et ne plus vouloir tout le temps les gommer.

Oui, si en 2013 j'y arrivais, ce serait parfait.

dimanche 16 décembre 2012

Le voyageur imprudent

"Pour des histoires que j'aime bien, j'ai parfois pris du retard, mais c'est rien. J'irai jusqu'au bout du chemin et quand ce sera la nuit noire, je serai bien" (Oh! J'cours tout seul, William Sheller)


J'aime bien prendre mon temps.
Quand j'accomplis quelque chose, je me soucie rarement du temps que cela va réellement me prendre.
Il faut que je sois intéressé, voire passionné, et je perds complètement la notion du temps.
Sinon, je vais toujours me dire que cela peut attendre et remettre la chose au lendemain. Bricoler attendra demain par exemple, tellement j'adore cela...

Je peux passer des heures à travailler une partition, par exemple.
Ça ne me dérange pas. Enfin à l'instant t ça ne me dérange pas.
La suite est parfois un peu difficile.
Ma chère et tendre me fera remarquer que j'ai passé beaucoup de temps là-dessus. Temps que, du coup, par ma faute, je n'ai pas passé en famille.
Et elle aura parfaitement raison.

Par contre, si je ne travaille pas cette partition, elle ne se fera pas toute seule. Et la chorale ne pourra pas apprendre un nouveau chant. Du coup, le travail réalisé sera de moins bonne qualité. Et ce sera de ma faute.

Je me retrouve un peu dans la situation d'un de mes livres préférés, Le voyageur imprudent, de René Barjavel : faire cette partition me permet d'assumer ma fonction de chef de choeur, mais m'accapare quelques heures. Ne pas la faire me rend disponible, mais je n'assume plus mes fonctions.

Une échappatoire existe : arrêter cet engagement. Mais, là, c'est mon trépied qui en prend un coup, et je ne peux pas jouer l'équilibriste.

Bref, une situation sans réelle solution...

Heureusement, dans mon métier, c'est complètement différent. Quoique...

J'aime bien, quand je reçois un patient en consultation et que le motif est un peu compliqué, essayer de prendre le temps de penser à tout.
Même si je suis persuadé qu'on ne peut jamais penser à tout, j'aime me dire que j'ai dû faire correctement mon métier en tentant d'aller au bout des choses.
Sauf que, ça me prend, dans ces cas là un peu plus d'un quart d'heure (et que mon planning est rempli avec un rendez-vous tous les quart d'heure).

Alors, dans une journée "normale" les patients se compensent un peu : on passe un peu plus de temps avec un patient qui présente plusieurs pathologies, et un peu moins avec celui qui a une simple infection virale.

Dernièrement, mes patients ont eu une fâcheuse tendance à ne pas se compenser...
Du coup, je suis en retard. Régulièrement.
Je ne compte plus les fois où les patients me font des réflexions. Parfois, je les prends en souriant. Parfois, je ne réagis pas. Parfois, plus rarement, essentiellement quand je suis fatigué, je m'énerve et je remets les patients en place... voire leur propose de changer de médecin.

Je ne sais pas comment font les confrères qui arrivent à être toujours à l'heure. J'aimerais bien être à l'heure. Cela serait synonyme d'être à l'heure pour rentrer le soir chez moi aussi... J'aimerais bien. Je n'y arrive pas.

Car si je me fixe comme objectif d'être à l'heure, je vais devoir aller un peu moins au fond des choses. Et je ne serai pas satisfait. Je n'aurai pas l'impression de bien faire mon travail.
Mais si je le fais bien (ou ai l'impression de bien le faire) je risque le retard à coup sûr.

Voyageur imprudent

Il y aurait bien une solution. Alléger mon planning de rendez-vous. Recevoir moins de patients, mais plus longtemps.
J'essaye déjà de laisser quelques quarts d'heure vides dans mon planning, en prévision d'un retard à compenser.
Mais avec cette absurdité du paiement à l'acte actuel, je ne peux pas multiplier ces plages vides, cela serait synonyme de dépôt de bilan pour mon activité libérale...
J'ai espoir que ce point puisse changer... un jour... restons optimiste... Un peu plus de forfait, un peu moins de paiement à l'acte.

"These wounds won't seem to heal, this pain is just real, there's just so much that time cannot erase" (My immortal, Evanescence)

Comment réussir à concilier le tout ?
Comment satisfaire à tout, tout le monde, tout le temps ?

Je ne suis pas là pour plaire, mais pour soigner.
Facile à dire.
Ce soir il m'est plus difficile de l'entendre, et encore plus de me l'appliquer.

Etre hyperactif est trop synonyme d'obligation de performance parfois.

"Lucie, Lucie dépêche-toi, on ne vit, on ne meurt qu'une fois" (Lucie, Pascal Obispo)


J'aimerais prendre mon temps pour ça aussi.
Mais là, pour le coup, je sais que la partie est perdue d'avance, même si j'espère que la partie sera longue.
Là, je veux bien être en retard. Très en retard même.

jeudi 29 novembre 2012

Moi si j'étais un homme

"Dans les bouquins ça fait bien de partir jeune, mais nous on te veux vieux" (Mec, Michel Fugain)

Un bague en plastique orange.
Elle m'avait dit "épouse-moi". J'avais dit oui.
J'avais 14 ans, elle en avait 6 de plus.
Nous chantions dans la même chorale et nous entendions très bien.
Encore un délire d'adolescent, dans la bonne humeur.
Je lui avais offert cette bague kitschissime orange en plastique... juste pour continuer à avancer dans notre délire.

Nous avions eu un enfant. Suite logique, après une grossesse qui avait bien pu durer deux heures.
Nous avions choisi le prénom ensemble "CommeTuVeux" parce qu'on voulait un prénom original et qu'on le trouvait bien celui-là.

Elle chantait bien. Elle chantait très bien de sa voix chaude et suave d'alto.
Surtout "Si j'étais un homme" de Diane Tell.
Souvent, quand nous nous déplacions en car pour aller faire un concert, nous lui demandions de nous chanter cette chanson.
Après un ou deux refus de politesse, après une ou deux expression faisant croire qu'elle était timide, elle s'exécutait pour notre plaisir à tous.

Elle récitait aussi un texte à la fin de "Diego, libre dans sa tête".
Je m'en souviens bien. Je l'ai encore quelque part sur une cassette qu'il faudra que je pense à convertir en format numérique un jour, pour ne pas perdre ce souvenir là.

Nous nous étions croisés quelques années après ces moments de jeunesse inoubliables, et tout était comme si nous nous étions quittés la veille, même si, entre temps, tu étais partie respirer le bon air alpin.

Loin des yeux. Pas loin du cœur.  Surtout en repensant à mes jeunes années et leur insouciance qui me manque tant maintenant, et que je sais avoir perdu à jamais.

"Et si la mort nous programme sur son grand ordinateur, elle ne prendra que mon âme mais elle n'aura pas mon coeur" (On se retrouvera, Francis Lalane)
 
42 ans. C'est tôt.

Il nous faudra attendre longtemps, je l'espère, égoïstement, avant de pouvoir chanter de nouveau ensemble.
Attendre que ma peine de ce soir soit plus supportable.
Attendre que je fasse tant de deuils;

Celui de ta vie, trop courte à mes yeux.
Celui de notre amitié ici bas.
Celui qui veut que je sois médecin, mais que je ne puisse pas être à chaque fois celui qui guérit.
Celui qui veut que pour mes proches, je suis aussi démuni qu'impuissant face à la nature.

"Where did I go wrong? I lost a friend, somewhere along in the bitterness. And I would have stayed up with you all night if had I known how to save a life" (How to save a life, The Fray)

Où me suis-je trompé ? J'ai perdu un ami, quelque part avec un sentiment d'amertume. Et je serais resté debout avec toi toute la nuit si j'avais su comment sauver une vie

Comment sauver ta vie, Sara.

dimanche 25 novembre 2012

L'effet papillon

"Car aujourd'hui, si l'existence ici, ne se résume qu'à la survie. Il faut savoir qu'une aile de papillon peut tout changer pour de bon" (Sa raison d'être, Ensemble contre le sida)

Si je devais définir l'une des philosophies qui m'anime, ce serait la finalité.
Je pense qu'une bonne partie de ce qui nous arrive n'est pas due au hasard.

Attention, je n'entends pas par là que nous ne serions pas maîtres de nos vies. C'est juste que je pense que nous faisons sans cesse des choix.
Même minimes, ces choix nous amènent à faire de nouvelles rencontres et font prendre à nos vies des directions que nous n'aurions peut-être jamais imaginées.

Après, chacun est libre de mettre derrière cette philosophie ce que bon lui semble : intervention divine, libre arbitre...

Mais rien n'arrive jamais vraiment sans une raison particulière. Sans une finalité bien précise.

J'ai choisi de faire de la Médecine Générale mon métier. Je me souviens qu'étant enfant, j'avais été un peu fasciné par mon médecin généraliste : j'étais arrivé malade, il m'avait examiné, griffonné des noms plus ou moins lisibles sur une ordonnance et m'avait soigné.
Cette consultation précise me revient souvent en mémoire. Elle n'avait rien de particulier. Une consultation pour une infection ORL banale. Et pourtant, elle a, je pense, pesé lourd dans mon choix de spécialité.

J'ai fait partie d'une chorale étant jeune.
Ma femme a une sainte horreur du téléphone. Surtout quand elle ne connaît pas l'interlocuteur.
Elle avait vu ma chorale en concert. Bon, je vous arrête tout de suite, elle n'a pas été subjuguée par moi... Elle a juste eu envie de nous rejoindre et chanter avec nous.
Mais pour cela, il a fallu décrocher le téléphone. Et là, elle est tombée sur un répondeur... Elle a quand même fait le choix de raccrocher, préparer le message qu'elle voulait laisser et a rappelé. Une deuxième fois.
Alors, qu'elle a horreur du téléphone...
Grâce à ce simple coup de fil, une quinzaine d'années et trois zèbres plus tard, je me dis qu'elle a rudement bien fait !

Quand j'ai fini mes études médicales, j'étais tellement content d'en avoir fini avec l'université et des études qui me semblaient inadaptées... de ne plus avoir à remettre les pieds à la faculté...
J'ai participé à une soirée de formation sur les vaccins. C'était une soirée à laquelle j'étais un peu allé avec les pieds de plomb... Une bonne dose de flemme associée à une petite touche de caractère casanier... Mais j'y étais allé quand même. Je ne sais pas pourquoi je m'étais décidé finalement.
La formation était expertisée par un médecin généraliste. Membre du Collège National des Généralistes Enseignants. Et enseignant à la faculté de Lille. Je suis allé lui parler à la fin de cette formation.
Je suis aujourd'hui vice-président du collège lillois des enseignants de médecine générale, président depuis quelques jours du syndicat national des enseignants en médecine générale...

Il y a quelques années, pour répondre à une énième sollicitation d'un ami, je me suis inscrit sur Facebook, en me disant que c'était un truc de jeune ado et que bon, je ne voyais pas trop l'intérêt de cela. Je me suis quand même inscrit, un peu pour me dire que je n'étais pas si vieux et faire plaisir à cet ami. Ce réseau m'a permis de renouer un peu de contact avec des amis de primaire, de collège ou de lycée que j'avais perdu de vue.
Du coup, quand j'ai commencé à entendre parler de Twitter, je me suis dit que je n'allais pas renouveler la même appréhension à priori.
J'ai crée un compte. Je n'ai pas tout compris au début. Et puis je ne comprenais pas comment ça marchait. J'y suis quand même resté. J'ai commencé à discuter avec quelques twittos... Un certain Borée, une certaine Jaddo...
J'ai même découvert que Gélule, dont j'avais connu le blog lors d'une présentation faite par un certain Dominique Dupagne au congrès de Nice, était aussi sur Twitter. Et même que tout ce petit monde me répondait quand je les interpelais.
Les discussions ont continué... jusqu'à la rencontre IRL (In Real Life, dans la vraie vie). Au congrès de Nice aussi. Une rencontre entre passionnés...
Il y a quelques mois, j'ai reçu un mail de DrFoulard. M'invitant à me joindre à un groupe de discussion et de réflexion.
En est né un manifeste pour proposer des solutions pour lutter contre les déserts médicaux. Puis l'opération #PrivésDeDéserts. Et une rencontre avec la Ministre de la Santé...

Et si cette rencontre était le battement d'ailes de papillon qui entraînera des changements et fera que le métier de Médecin Généraliste évoluera ?

Pas uniquement sur la base de nos propositions.

Mais juste le battement d'ailes qui amorcera un changement.

Juste l'effet papillon...

mercredi 14 novembre 2012

Mon rêve américain

"The truth is out there" (Trad. "La vérité est ailleurs", X-Files)

J'ai parlé dans un précédent billet de Socrate et du fait de se connaître soi-même.
Suis-je en train de découvrir une certaine part de masochisme en moi ?

Enfin... découvrir... je savais bien qu'elle était là, c'est juste que je ne peux plus vraiment la nier maintenant.

Tout a commencé un jour de juillet... Un de mes meilleurs amis étant inscrit pour courir le marathon de Washington fin octobre, et nous avions prévu d'aller le soutenir (ou plutôt de nous servir de cela comme d'une excuse arrivant à point nommé pour retourner aux Etats-Unis).

Je consultais régulièrement le site du Marine Corps Marathon (Marathon du Corps des Marines) pour voir s'il était possible de donner un petit coup de main le jour même, histoire de vivre l'aventure autrement qu'en simple spectateur.
L'euphorie du moment, la joie de retourner aux USA... j'envoie un mail disant que je suis un (gentil) médecin généraliste (ou GP pour General Practionner) français, et que je voulais savoir si je pouvais m'inscrire quelque part comme volontaire, et si cela pouvait avoir un lien avec le soin, ce serait cool.
Genre "je veux bien distribuer des boissons aux coureurs qui seront souffrants si vous voulez".
Parce que, bon, je sais que mon diplôme de médecin français n'est malheureusement pas reconnu aux USA, alors je les mets totalement à l'aise, je ne veux pas m'imposer à la Belmondo "Toc toc badaboum, c'est moi, je suis médecin faites moi une place digne de mon rang".

Non, profil bas, je veux juste aider.
Enfin juste aider. Non en fait.
C'est là que je suis un peu maso... Je veux aider ET je veux me retrouver au milieu de gens qui ne parleront QUE anglais. Histoire de voir aussi si je serai complètement largué ou si j'arriverai à suivre une conversation. Parce que bon, regarder NCIS ou Les Experts en VO non sous-titrée, ça va, mais dans la "vraie" vie ? Toujours autant confiance en moi visiblement...

Objectif : Immersion.

Et là... d'un coup... réponse de mail par la Capitaine en charge de l'organisation des soins : "Vous êtes le bienvenu, inscrivez-vous comme médecin volontaire et envoyez-moi une copie de vos diplômes."

Tu as voulu de l'immersion coco, tu vas en avoir. Et comme médecin. Donc va falloir assurer.
Je suis comme un gamin : je vais vivre ça de l'intérieur, je vais passer une journée en immersion et en plus je vais être, le temps d'un jour, médecin aux USA !
Oui mais... bon... je me suis quand même commandé dans la foulée deux livres de vocabulaire médical anglais, parce que bon... je me mets la pression, faut que je sois bon. Qu'on se souvienne du French Doctor autrement que parce qu'il savait pas prendre en charge un patient.

Le tourbillon de la rentrée emporte un peu de ces inquiétudes, qu'il noie au beau milieu d'un emploi du temps que je prends, d'année en année, un malin plaisir à toujours surcharger. Ah non... encore du masochisme ?

Arrive quand même le jour J : départ pour les USA, avec l'ami marathonien, et deux jours avant nos épouses qui sont "obligées" de finir leur semaine de travail en France. Deux jours pour commencer à se faire au décalage horaire. C'est mieux pour le marathonien. C'est parfait pour moi aussi, histoire d'être un GP en pleine possession de ses moyens.

Dans l'avion, le seul clampin à réviser la prise en charge des hypo et hypernatrémies chez le sportif, cherchez pas, c'était moi !
Parce que bon, c'est bien de fanfaronner mais après, faut assumer...

Sur place, tout se passe comme prévu à l'avance. Hôtel sympa, balade sur Manhattan très agréable. Et quand en plus on ajoute une rencontre In Real Life avec @Sophiesagefemme et sa bonne humeur extrêmement communicative, ce début de séjour se passe très bien !

Vient ensuite l'opération "récupérons nos épouses" qui est un franc succès. Phase 2 de l'opération : Direction Washington District of Colombia (DC en gros pour pas confondre avec l'état de Washington tout au nord ouest du pays).
Et...en voiture. C'est moi qui conduis.
Conduire dans un pays étranger, ça me stresse... Le même code de la route pourtant. Juste les feux rouges où on peut tourner quand même, sauf si un panneau nous dit le contraire. C'est con, mais voilà, il me faut finalement assez peu de choses pour stresser.
Du coup je pense un peu moins au marathon pendant quelques heures.

Phase 2 : Deuxième succès !
Arrivés à Washington, nous sommes hébergés par une amie expatriée. C'est super de pouvoir se voir à cette occasion. Elle a été mon témoin de mariage. Elle m'appelle son JF "Just Friend" parce que nous sommes l'exemple d'une amitié hétérosexuelle réussie. Sexuellement, elle ne m'attire absolument pas. Et même que c'est parfaitement réciproque !

Nuit un peu courte avant le marathon (oui parce que bon, on n'est pas attiré, mais on a le droit de causer quand même), nous partons le marathonien et moi à 5h du matin heure locale pour aller prendre le métro.
Je suis calme. Très calme. Inhabituellement calme me fait-on remarquer.
Mais non je suis pas stressé, mais non. Pas de cela chez moi.
Carrément flippé, oui, mais pas stressé...

J'arrive au point de rendez-vous, sortie station Rosslyn, marche rapide vers la statue d'Iwo Jima. Et là... ben oui, en fait, je suis médecin volontaire monsieur le Marine... oui j'ai mon passeport... non je n'ai pas d'autre document que les échanges de mail que j'ai imprimés. Non je n'ai pas mon bracelet officiel, je dois aller le récupérer... Merci monsieur le Marine de me laisser entrer !

J'arrive à la station d'aide appelée ALPHA (Aid Station ALPHA).

"Hi ! Nice to meet you ! What's your name ?" "Kélafiowre Matthew" "Oh yes, I've got you on my list. Come in, pick your medical shirt there and put it on"
("Salut ! Ravi de vous rencontrer ! Votre nom ?" "Calafiore Matthieu" "Oh oui, je vous ai sur la liste. Entrez, prenez votre maillot médical ici et mettez-le")

Ouais, je vous vois venir. J'ai essayé de prononcer mon nom à la française, ils comprenaient pas... non c'est devenu Kélafiowre...

A ce moment précis commence un temps un peu "spécial"... je ne connais personne, je suis dans l'AS la plus grande du marathon et je ne sais absolument pas qui aller voir.
Je croise l'infirmière militaire en chef, je lui demande où je dois me rendre.
Je suis un peu surpris, elle me serre la main chaleureusement, ne me la lâche pas, met sa main sur mon épaule et m'explique qu'elle va m'emmener auprès du médecin en chef.
J'avais oublié qu'ils sont plutôt tactiles ici en fait... tellement loin de l'image froide que l'on a d'eux de ce côté-ci de l'atlantique...

J'arrive auprès du médecin chef, super accueillant, il me tend son "guidebook" avec tous les algorithmes de médecine du sport qu'on peut être amenés à utiliser aujourd'hui.
Et là, flipouillage de race (ouais, c'est la seule expression qui résume ce que j'ai ressenti) : en fait ils vont tous connaître tout ça par cœur, et je vais être à la traîne !

Je lis, je me rassure... finalement c'est très proche de ce que j'ai révisé dans l'avion. Et puis, je vais pas être tout seul non plus... hein m'sieur dames ? je vais pas être tout seul ?

Arrivent alors plusieurs autres médecins, tous super sympas. Ils se présentent, sont tous militaires. Je me présente, le GP de France...

"That's great ! We never had a french doctor here before ! And you're the only foreign doctor here today"
("C'est super ! Nous n'avions jamais eu de médecin français ici avant ! Et tu seras le seul médecin étranger ici aujourd'hui)

Bon, et bien s'ils trouvent que c'est super, alors c'est super !... Ils me demandent mes motivations pour ma participation à cette aventure.
Je leur explique, en glissant entre deux phrases que je suis quand même un peu stressé, mon "angoisse de performance" blablabla...
Ils balaient ça d'un revers de la main en me disant de ne pas s'inquiéter.


Souvent, je me fie à mes premières impressions. Elles sont rarement fausses. Là, la première impression est très positive. Parmi les autres médecins, 5 sont de mon âge. Et même qu'ils font des blagues que je comprends !
Encore une fois, très très loin des préjugés ou des images qu'on peut avoir des Marines. Ils sont très organisés. Tout est carré. Mais ils sont très accueillants.
Je n'ose quand même pas aller poser avec eux pour la photo... Finalement j'aurais dû, je regrette un peu...

Petit staff de début de marathon. Nous sommes répartis en équipes. 3 en tout. 2 pour les cas "légers", la dernière pour les cas un peu plus graves.
"Matthew, you'll be in the last one, okay ?"
("Matthieu, tu seras dans la dernière, okay ?")

La dernière... l'équipe "cas grave" ?
J'ai utilisé un faux-ami en parlant ? L'un de ces mots qui veulent en anglais dire exactement l'inverse de ce que l'on pense ? Non ! Stressé se dit bien comme je l'ai dit ... bon et bien immersion immersion !

La journée commence, les premiers blessés arrivent, tout s'enchaîne, on soigne, on discute, on soigne...
"Ok, Matthew, this patient is for you. Ask me or Cal if you need some help"
("Ok, Matthieu, cette patiente est pour toi. Appelle-moi ou appelle Cal si tu as besoin d'aide")

Et là... bon c'était pas un cas compliqué, mais je gère. L'anglais, le médical, la prise en charge.
Probablement que ça ne s'est pas vu sur mon visage, mais je suis super fier d'un coup.

Dans l'euphorie du moment, j'en discute avec Cal, avec Andrew qui me félicitent pour ma prise en charge.
Entre chaque patient, il y a un debriefing, et à chaque fois du "renforcement positif". Si quelque chose ne s'est pas passé vraiment comme prévu, on essaye de comprendre pourquoi, mais pas de culpabilisation. Un ambiance super positive !

"But your english is very good you know !"
("Mais ton anglais est très bon tu sais !")

Merci merci. Là, c'est bon, ma journée est un succès. J'ai bien fait d'être masochiste après tout.

La journée se termine peu à peu... le marathon est terminé. Le matériel commence à être rangé. Et je vais devoir dire au revoir à toute l'équipe. J'ai récupéré des coordonnées. J'espère rester en contact. Andrew me dit qu'il pense venir en Normandie pour fêter le débarquement. Son grand-père l'avait fait et il veut faire ce voyage comme un devoir de mémoire.

"Call me when you're in France Andrew. You guys were so welcoming, I would love to welcome you in my country" "Thanks Matthew. I'm so glad so you came here. And spread the word in France that Americans are very kind and welcoming !"
("Appelle-moi quand tu viens en France Andrew. Vous étiez tous si accueillants. J'adorerais t'accueillir dans mon pays" "Merci Matthieu. Je suis vraiment content que tu sois venu ici. Et dis bien en France que les Américains sont gentils et accueillants !")

Andrew, je le fais avec grand plaisir.
Je vais leur dire à mes compatriotes, de venir voir sur place comment sont les habitants de ton pays, et comment il ne faut pas se faire de fausses idées ou d'à priori, mais venir voir les choses par soi même.

J'essaye déjà de leur dire cela pour mon métier... Venir voir ce qu'est vraiment la médecine générale au-delà des clichés de bobologues et des fausses images véhiculées.

Promis Andrew, je leur dis. J'espère que sur ce sujet là, un peu plus que sur mon métier, les français sauront se faire leur propre idée...






samedi 20 octobre 2012

J'ai 10 ans...

"On ne change pas, on met juste les costumes d'autres sur soi" (On ne change pas, C. Dion)

Aller au supermarché... Rien d'extraordinaire là dedans.

Mais y aller quand on est médecin généraliste et que l'on rencontre un patient, là c'est déjà un peu plus particulier.
Inévitablement, arrive lors de cette rencontre, une réaction en 3 temps :

1- Le "Bonjour" de politesse plus ou moins accompagné d'un "Alors on fait des courses ?" ... non, j'ai vu de la lumière et je m'ennuyais un peu, du coup je me suis dit "Tiens, si j'allais faire des courses ,"...

2- Le coup d'oeil furtif dans le sac ou le charriot. Avec le regard amusé d'y voir par exemple une pizza ou du fromage. Dans le genre "Ah ben il nous dit de faire attention à notre alimentation, mais lui il se prive pas. Faites ce que je dis, pas ce que je fais ! C'est du joli".

3- Le moment que je redoute ensuite : quel sujet de conversation va être entamé ?... en général je coupe court avec un "Bonne journée" ... pour éviter une discussion qui inévitablement tournera en demande de conseils médicaux, au milieu du rayon boucherie, entre les saucisses de Strasbourg et les rillettes.

Au deuxième temps, les patients font une découverte incroyable et insoupçonnée : les médecins sont des êtres humains comme les autres !
Et oui. Autant briser le mythe immédiatement : les médecins mangent, boivent, dorment, assouvissent des besoins naturels... comme tout le monde.

Nous avons été enfants, sommes adultes, avons peut-être nous aussi des enfants, et serons vieux un jour.

Serions-nous, aux yeux de nos patients, surhumains, ne buvant pas, ne mangeant pas, ne dormant pas ("oh vous travaillez tard docteur"), n'ayant pas de famille ("oh ben dites donc, vous n'êtes pas encore rentré ce soir vu le monde en salle d'attente !"), et ayant un système immunitaire en béton armé ("mais comment faites-vous pour ne jamais tomber malade ?") ?

Ou nous imposons-nous à ce point de faire en sorte que l'habit fasse le moine ?
L'éternelle histoire de l'oeuf et de la poule finalement : paraissons-nous surhumains parce que nos patients nous renvoient cette image, ou la donnons nous plus ou moins volontairement parce que nous estimons qu'elle fait partie du costume du médecin ?

Un peu des deux mon général...
En tout cas, nous avons une part de responsabilité.
Parce qu'un médecin, ça s'habille correctement et que ça ne met pas un short et des chaussures ouvertes pour consulter l'été, au risque de perdre de la crédibilité.
Parce qu'un médecin s'autoinvestit parfois d'une sacrosainte parole qui doit être maîtrisée, régulée quitte à frôler le politiquement correct à outrance.

Que cela fasse partie du pack complet du parfait petit médecin, je peux le concevoir. Voire, j'en suis un peu convaincu puisque je m'applique ces principes. Vous devriez me voir mettre un costume pour aller en réunion au ministère... plus "habit faisant le moine" que ça, tu meurs...

Mais, j'ai beau relire le manuel, je ne vois nulle part écrit que cela doit s'appliquer à notre vie en dehors du travail.
Pourquoi d'un coup, en endossant les habits de médecin, devrions-nous renier une partie de nous-mêmes ?
Et ceci peut sans problème s'appliquer à toutes les professions finalement...

"On peut rêver, se réveiller, on est semblable à ce qu'on est" (Prendre racine, Calogero)

Oui, parce qu'en fait, il y a une chose qui m'énerve royalement (bon, d'accord, ça fait une chose de plus à ajouter à tout le reste), c'est d'oublier ses racines.
Mes racines (mes "roots" en anglais, ça fait plus stylé) sont moitié siciliennes (de la petite ville de Sommatino... Tiens, baptiser mon blog en faisant référence à mes racines et la ville de mes ancêtres, ce serait une bonne idée), moitié françaises. Absolument pas "bourgeoises" et résolument ouvrières.
Quand j'étais plus jeune, j'aimais rire de tout et surtout de moi, j'aimais chanter (bon danser aussi, mais je n'y arrivais pas très bien), j'aimais jouer de la musique, j'aimais passer des soirées entre amis à jouer à des jeux de société.
Ce sont mes racines.

Et j'ai beau y réfléchir, je ne vois pas au nom de quoi il faudrait renier cette partie de moi maintenant. Je suis médecin, soit. Je reste au fond de moi cet enfant pas toujours sûr de lui, mais toujours jovial, aimant les jeux de mots et les blagues. Je chante toujours, joue encore de la musique, et préfère de très loin les soirées improvisées entre amis autour d'un "Time's up" que les dîners de gala.

Alors, oui, j'ai sûrement un gros défaut (bon, d'accord, un de plus), c'est celui de ne pas comprendre ceux que j'ai connus étant plus jeune, avec qui j'ai partagé quelques fou-rires et délires, qui sont devenus adultes désormais, avec eux-aussi de belles "situations", mais que je devrais presque vouvoyer maintenant.
Parce que, bon, quand nous assouvissons nos fameux besoins naturels, même avec le petit doigt en l'air, ce qui restera dans la cuvette après sera plus ou moins la même chose, peu importe qui nous sommes, non ?

Alors, s'il vous plaît, si nous nous croisons dans la rue et que nous nous connaissons depuis longtemps, continuons à nous tutoyer. Je suis devenu médecin ? Et ? Si nous nous sommes connus au collège, j'espère que c'est l'image de cet ami là que vous avez gardé en mémoire.

Et si vous aviez des goûts musicaux très "années 80", on pourrait même s'organiser un karaoké un de ces soirs... un karaoké, pas un gala de danse. De ce point de vue là aussi, je suis resté fidèle à mes racines...

dimanche 23 septembre 2012

La vie, c'est le (tré)pied !

"J'ai décidé d'être heureux parce que c'est bon pour la santé" (Voltaire)

Je pose souvent cette question à mes étudiants en stage : "As-tu des loisirs ? Sans que tu me dises ce que c'est si tu n'en as pas envie : fais-tu autre chose que la médecine ?"

Cette question suscite bien souvent une interrogation de leur part. En général, quand ils sont en stage quelque part, les étudiants ont juste envie de bien répondre à toutes les questions.
"Tu es content d'être en stage" "Oui, bien sûr !" (Même si ce n'est pas forcément toujours le cas)
"La journée commence tôt et finit tard, ça ne te pose pas de problème ?" "Non" (Même s'ils veulent des journées moins chargées)

Bref, à cette question, je sens parfois mes étudiants un peu déroutés. Ils aimeraient pouvoir répondre ce qu'ils croient que j'aimerais entendre : je me lève avec la médecine générale, je me couche avec la médecine générale, je rêve médecine générale, je ne vis que pour la médecine générale.

Ils se trompent. J'ai juste envie d'entendre tout autre chose.
Oh attention, je ne vais pas dire que j'ai envie d'entendre l'exact opposé. J'espère que les internes de médecine générale en stage chez moi veulent faire médecine générale comme métier. Sinon, les pauvres, 6 mois risquent d'être un peu longs.
Non j'ai juste envie d'entendre "Oui, j'ai des loisirs". Que ce soit du sport, de la musique, de l'art, des soirées entres amis, peu m'importe. Cela ne me regarde d'ailleurs pas.
Et d'ailleurs, si un soir, mon interne me demande si exceptionnellement il peut partir un peu plus tôt car il a quelque chose de prévu qui fait partie de la catégorie loisirs, je ne refuse jamais.

Parce que je reste persuadé qu'on n'est jamais meilleur avec les autres que lorsqu'on est bien avec soi-même.
J'appelle ça le trépied du bonheur. D'accord, c'est une appellation qui sent un peu la guimauve et l'eau de rose, mais je n'ai pour le moment pas trouvé meilleure expression.

Considérons que nous reposons tous sur 3 pieds. Comme le trépied d'un appareil photo par exemple. Il a trois pieds pour être parfaitement stable. Enlevez-lui en un, il peut encore tenir, mais au moindre coup de vent, à la moindre bousculade, il risque de tomber.

Le premier pied de mon "trépied du bonheur" est celui des relations sociales. Entendez par là, la famille, les amis, les connaissances. Tout ce qui peut nous mettre au contact d'êtres plus ou moins chers. Certains ne mettront que leur famille sur ce pied là. D'autres uniquement leurs amis. Peu importe. Si les relations sociales existent, c'est un pied porteur.

Le deuxième pied est celui de la profession. J'y mets le métier, bien entendu. Mais tout ce qui en découle aussi. Pour ma part, il y a ma profession de médecin généraliste qui me passionne, mais il y a aussi son enseignement.

Le troisième et dernier pied est celui des loisirs. J'y place volontiers en ce qui me concerne, le sport et la musique.

Le tout est de répartir le poids de notre vie sur ces trois pieds.

Tout reporter sur le pied social expose au risque de perdre complètement l'équilibre quand l'entourage n'est pas disponible.

Tout reporter sur le pied professionnel expose à un risque bien connu dans ma profession : le burn out. Se lancer à corps perdu dans son métier en oubliant tout le reste... et le jour où la profession n'apporte plus la satisfaction désirée, on perd l'équilibre.

Tout reporter sur le pied loisirs, cela pourrait paraître tentant. Mais s'ils ne sont là pour faire oublier que les deux autres pieds sont manquants, l'équilibre sera précaire et vite perdu.

Non, l'équilibre viable c'est celui qui repose sur ces trois pieds. Pas un de moins.
Et pour arriver à ce point d'équilibre, il faut parvenir à répartir sa vie sur eux. Pas forcément par tiers strictement identiques. Il y aura peut être un peu plus de poids sur le pied social... ou l'un des deux autres.
Mais il y aura toujours trois pieds.

J'ai choisi ma répartition. Le pied professionnel est important, bien sûr. Le métier que j'ai choisi me l'impose. Mais je veille aux deux autres pieds, qui sont fondamentaux.

Alors, vous pourrez bien essayer, mais je ne m'excuserai pas si un jour je termine une journée plus tôt pour allez voir un spectacle avec ma femme.
Je ne m'excuserai pas plus de ne pas être tous les samedis matins en consultation. Nous avons établi un roulement avec mes associés. Il y a toujours quelqu'un présent. Mais ce quelqu'un n'est pas toujours moi.
Je m'excuserai encore moins d'être absent le jeudi après-midi. Seul jour où je peux aller chercher mes enfants à l'école, les aider à faire leurs devoirs et être à la maison quand ma femme rentrera du travail.
N'essayez pas non plus, je ne regrette absolument pas de faire du squash, ou de diriger une chorale, même si le temps que j'y consacre est autant de temps en moins pour le reste.
Et aucune phrase du genre "ah ! vous n'êtes pas là après 21h ? Et bien on peut mourir alors !" ne me fera culpabiliser.
J'adore mon métier. Mais ce n'est qu'un tiers de ce qui fait que je suis moi-même.

"Connais toi toi-même, et tu connaitras les dieux et l'univers" (Socrate)

Je ne sais pas si je connaitrai les dieux et l'univers. Mais j'ai décidé d'être heureux en m'appuyant sur ce trépied.
Parce que c'est mon trépied du bonheur.
Parce que c'est ça qui me fait tenir en équilibre.
Parce que c'est un équilibre instable.
Et que je n'ai qu'une vie.

jeudi 6 septembre 2012

#PrivésDeDéserts... de l'autre côté du miroir

"Paroles, paroles, paroles" (Dalida, Alain Delon)

Une fabuleuse histoire qui a commencé lundi.

Un buzz que nous espérions important. Je ne crois pas que nous l'avions imaginé à ce point.

Nous sommes maintenant jeudi... toujours pas de réponse des autorités (hormis les quelques messages à chaud de notre Ministre).

Nous avons été propulsés au devant de la scène médiatique. Il s'agit de la partie visible de l'iceberg. Mais laissez-moi vous parler un peu de ce qui se passe derrière le miroir.

Je nous appelle la "Team24" (ce n'est pas une appellation officielle, mais uniquement un surnom que je nous donne et qui n'engage que moi).
La Team24 est en discussion permanente. Nous discutons encore et toujours, et tentons de continuer à relayer les messages de #PrivésDeDéserts.
Chacun à notre façon. Certains à l'écrit, certains sur les ondes, certains (dont moi) à l'écran.
Et nous sommes tous complémentaires.

Déjà quand nous discutions du texte avant de le diffuser, j'étais surpris qu'à 24 nous arrivions si facilement à trouver une position commune.
Je le suis toujours autant de la facilité avec laquelle nous gérons cet "après-buzz".

Alors, comme je le fais toujours, j'essaye d'en décrypter les raisons.

Le plus simple aurait été de dire que nous sommes d'accord parce qu'il y a un leader dans le groupe et que nous suivons aveuglément la voix du plus fort.
Et bien, fort heureusement, nous n'avons pas choisi la simplicité.

Nous avons tous en tête le même idéal. Notre passion pour notre spécialité et notre métier de médecin généraliste est notre vrai leader.
Nous trouvons une position commune avec aisance parce que nous regardons tous dans la même direction.

Et surtout : nous connaissons notre sujet. Nous sommes tous des médecins généralistes, nous connaissons notre métier.
Nos avons la prétention de considérer que nos propositions sont réalistes et réalisables.

Nous avons la volonté de défendre et débattre de nos propositions.

Il ne reste plus qu'à trouver un écho auprès de nos décideurs.
Ce soir, à ma connaissance, il n'y a rien eu de nouveau par rapport à lundi.

Mais demain est un autre jour...

mardi 4 septembre 2012

#PrivésDeDéserts Le buzz, et après ?

Suite de l’opération "Médecine Générale 2.0"

Le 3 septembre 2012, vingt-quatre médecins blogueurs et twitteurs ont publié simultanément un document de réflexion sur la problématique des déserts médicaux.
Cette opération de communication a été symbolisée sur Twitter par le hashtag (mot-clé) #PrivésDeDéserts repris des centaines de fois. Elle a été intégrée le jour même par les agences de presse et les principaux médias français. C’est un véritable succès médiatique qui a abouti après une douzaine d’heures à la réaction bienveillante de la ministre Marisol Touraine, toujours sur Twitter :

Au moment où je publie ce billet, notre texte a déjà reçu 350 signatures de soutien.

Ces propositions sont le fruit d’un travail collectif auquel j’ai participé et dont je voudrais préciser quelques caractéristiques.
1) Ce groupe de travail est informel, non structuré, non hiérarchisé et ne possède pas de leader. C’est un pur produit du Web 2.0 qui a utilisé l’outil de rédaction collaboratif Google Drive et dont les membres sont unis par des liens affectifs réciproques et subjectifs.
2) Il ne s’agit donc ni d’un "mouvement", ni même d’un groupe de pression, et encore moins d’un nouveau syndicat. C’est un groupe de réflexion, un "think tank" si l’on préfère un nom à la mode. Il n’est pas destiné à s’inscrire dans la durée : une autre thématique regrouperait sans doute une communauté légèrement différente. En revanche, les liens affectifs qui unissent ses membres et en constituent le ciment resteront probablement durables.
3) Nous ne souhaitons pas intégrer notre groupe dans les syndicats existants, les commissions, les autres think tanks, les ministères ou les ARS. Chacun des membres du groupe est libre de participer à ces structures, mais ne peut s’y réclamer porte-parole des autres.
4) Notre espace de réflexion est le web, et plus spécifiquement Twitter et nos blogs. C’est un espace public, libre, et sans copyright pour ce qui nous concerne. Nous souhaitons que nos idées soit copiées. D’ailleurs, nous avons nous-mêmes repris des idées émises par d’autres depuis longtemps. Ce qui compte, c’est que tout le monde comprenne qu’il n’y aura pas de médecine générale forte en France sans que la France prenne des décisions fortes concernant sa médecine générale, et que ces décisions fortes ne sont pas plus coûteuses que les "Plans" quinquennaux de nos précédents présidents.
Nous transmettons donc le flambeau de l’action à ceux dont la mission est de représenter officiellement la médecine générale : syndicats, sociétés savantes, universitaires, représentants ordinaux. Le message que nous souhaitons leur faire passer est simple :
 
"Nous sommes derrière vous si votre vision de la médecine est généreuse, ambitieuse, tournée vers la jeunesse et l’avenir. En revanche, si votre action consiste à tenter de protéger vos acquis de "vieux" ou votre position dominante en mettant les jeunes à contribution pour réparer vos erreurs, nous n’avons pas fini de distribuer du poil à gratter sur le web !"

(image issue du site de Docteur Couine )

lundi 3 septembre 2012

Médecine Générale 2.0


Le texte ci-dessous est publié simultanément sur les blogs de 24 médecins généralistes français.

Si vous souhaitez apporter votre soutien à ce texte, vous pouvez le faire à cette adresse : 

http://www.atoute.org/n/Medecine-Generale-2-0.html

Vous pouvez également télécharger l'intégralité du texte ici


Médecine générale 2.0
Les propositions des médecins généralistes blogueurs
pour faire renaître la médecine générale



Comment sauver la médecine générale en France et assurer des soins primaires de qualité répartis sur le territoire ? Chacun semble avoir un avis sur ce sujet, d’autant plus tranché qu’il est éloigné des réalités du terrain.

Nous, médecins généralistes blogueurs, acteurs d’un « monde de la santé 2.0 », nous nous reconnaissons mal dans les positions émanant des diverses structures officielles qui, bien souvent, se contentent de défendre leur pré carré et s’arc-boutent sur les ordres établis.

À l’heure où les discussions concernant l’avenir de la médecine générale font la une des médias, nous avons souhaité prendre position et constituer une force de proposition.

Conscients des enjeux et des impératifs qui sont devant nous, héritages d’erreurs passées, nous ne souhaitons pas nous dérober à nos responsabilités. Pas plus que nous ne souhaitons laisser le monopole de la parole à d’autres.

Notre ambition est de délivrer à nos patients des soins primaires de qualité, dans le respect de l’éthique qui doit guider notre exercice, et au meilleur coût pour les budgets sociaux. Nous souhaitons faire du bon travail, continuer à aimer notre métier, et surtout le faire aimer aux générations futures de médecins pour lui permettre de perdurer.

Nous pensons que c’est possible.


Sortir du modèle centré sur l’hôpital

La réforme de 1958 a lancé l’hôpital universitaire moderne. C’était une bonne chose qui a permis à la médecine française d’atteindre l’excellence, reconnue internationalement.

Pour autant, l’exercice libéral s’est trouvé marginalisé, privé d’enseignants, coupé des étudiants en médecine. En 50 ans, l’idée que l’hôpital doit être le lieu quasi unique de l’enseignement médical s’est ancrée dans les esprits. Les universitaires en poste actuellement n’ont pas connu d’autre environnement.

L’exercice hospitalier et salarié est ainsi devenu une norme, un modèle unique pour les étudiants en médecine, conduisant les nouvelles promotions de diplômés à délaisser de plus en plus un exercice libéral qu’ils n’ont jamais rencontré pendant leurs études.

C’est une profonde anomalie qui explique en grande partie nos difficultés actuelles.

Cet hospitalo-centrisme a eu d’autres conséquences dramatiques :
-          Les médecins généralistes (MG) n’étant pas présents à l’hôpital n’ont eu accès que tout récemment et très partiellement à la formation des étudiants destinés à leur succéder.
-          Les budgets universitaires dédiés à la MG sont ridicules en regard des effectifs à former.
-          Lors des négociations conventionnelles successives depuis 1989, les spécialistes formés à l’hôpital ont obtenu l’accès exclusif aux dépassements d’honoraires créés en 1980, au détriment des généralistes contraints de se contenter d’honoraires conventionnels bloqués.

Pour casser cette dynamique mortifère pour la médecine générale, il nous semble nécessaire de réformer profondément la formation initiale des étudiants en médecine.

Cette réforme aura un double effet :
-          Rendre ses lettres de noblesse à la médecine « de ville » et attirer les étudiants vers ce mode d’exercice.
-          Apporter des effectifs importants de médecins immédiatement opérationnels dans les zones sous-médicalisées.

Il n’est pas question dans ces propositions de mesures coercitives aussi injustes qu’inapplicables contraignant de jeunes médecins à s’installer dans des secteurs déterminés par une tutelle sanitaire.
Nous faisons l’analyse que toute mesure visant à obliger les jeunes MG à s’installer en zone déficitaire aurait un effet majeur de repoussoir. Elle ne ferait qu’accentuer la désaffection pour la médecine générale, poussant les jeunes générations vers des offres salariées (nombreuses), voire vers un exercice à l’étranger.


C’est au contraire une véritable réflexion sur l’avenir de notre système de santé solidaire que nous souhaitons mener. Il s’agit d’un rattrapage accéléré d’erreurs considérables commises avec la complicité passive de confrères plus âgés, dont certains voudraient désormais en faire payer le prix aux jeunes générations.


Idées-forces

Les idées qui sous-tendent notre proposition sont résumées ci-dessous, elles seront détaillées ensuite.

Elles sont applicables rapidement.

1) Construction par les collectivités locales ou les ARS de 1000 maisons de santé pluridisciplinaires qui deviennent aussi des maisons médicales de garde pour la permanence des soins, en étroite collaboration avec les professionnels de santé locaux.

2) Décentralisation universitaire qui rééquilibre la ville par rapport à l’hôpital : les MSP se voient attribuer un statut universitaire et hébergent des externes, des internes et des chefs de clinique. Elles deviennent des MUSt : Maisons Universitaires de Santé qui constituent l’équivalent du CHU pour la médecine de ville.

3) Attractivité de ces MUSt pour les médecins seniors qui acceptent de s’y installer et d’y enseigner : statut d’enseignant universitaire avec rémunération spécifique fondée sur une part salariée majoritaire et une part proportionnelle à l’activité.

4) Création d’un nouveau métier de la santé : « Agent de gestion et d’interfaçage de MUSt » (AGI). Ces agents polyvalents assurent la gestion de la MUSt, les rapports avec les ARS et l’Université, la facturation des actes et les tiers payants. De façon générale, les AGI gèrent toute l’activité administrative liée à la MUSt et à son activité de soin. Ce métier est distinct de celui de la secrétaire médicale de la MUSt.

1) 1000 Maisons Universitaires de Santé

Le chiffre paraît énorme, et pourtant... Dans le cadre d’un appel d’offres national, le coût unitaire d’une MUSt ne dépassera pas le million d’euros (1000  m2. Coût 900 €/m2).

Le foncier sera fourni gratuitement par les communes ou les intercommunalités mises en compétition pour recevoir la MUSt. Il leur sera d’ailleurs demandé en sus de fournir des logements à prix très réduit pour les étudiants en stage dans la MUSt. Certains centres de santé municipaux déficitaires pourront être convertis en MUSt.

Au final, la construction de ces 1000 MUSt ne devrait pas coûter plus cher que la vaccination antigrippale de 2009 ou 5 ans de prescriptions de médicaments (inutiles) contre la maladie d’Alzheimer. C’est donc possible, pour ne pas dire facile.

Une MUSt est appelée à recevoir des médecins généralistes et des paramédicaux. La surface non utilisée par l’activité de soin universitaire peut être louée à d’autres professions de santé qui ne font pas partie administrativement de la MUSt (autres médecins spécialistes, dentiste, laboratoire d’analyse, cabinet de radiologie...). Ces MUSt deviennent de véritables pôles de santé urbains et ruraux.

Le concept de MUSt fait déjà l’objet d’expérimentations, dans le 94 notamment, il n’a donc rien d’utopique.

2) L’université dans la ville

Le personnel médical qui fera fonctionner ces MUSt sera constitué en grande partie d’internes et de médecins en post-internat :

·                         Des internes en médecine générale pour deux de leurs semestres qu’ils passaient jusqu’ici à l’hôpital. Leur cursus comportera donc en tout 2 semestres en MUSt, 1 semestre chez le praticien et 3 semestres hospitaliers. Ils seront rémunérés par l’ARS, subrogée dans le paiement des honoraires facturés aux patients qui permettront de couvrir une partie de leur rémunération. Le coût global de ces internes pour les ARS sera donc très inférieur à leur coût hospitalier du fait des honoraires perçus.

·                         De chefs de clinique universitaire de médecine générale (CCUMG), postes à créer en nombre pour rattraper le retard pris sur les autres spécialités. Le plus simple est d’attribuer proportionnellement à la médecine générale autant de postes de CCU ou assimilés qu’aux autres spécialités (un poste pour deux internes), soit un minimum de 3000 postes (1500 postes renouvelés chaque année). La durée de ce clinicat est de deux ans, ce qui garantira la présence d’au moins deux CCUMG par MUSt. Comme les autres chefs de clinique, ces CCUMG sont rémunérés à la fois par l’éducation nationale (part enseignante) et par l’ARS, qui reçoit en retour les honoraires liés aux soins délivrés. Ils bénéficient des mêmes rémunérations moyennes, prérogatives et avantages que les CCU hospitaliers.
Il pourrait être souhaitable que leur revenu comprenne une base salariée majoritaire, mais aussi une part variable dépendant de l’activité (par exemple, 20 % du montant des actes pratiqués) comme cela se pratique dans de nombreux dispensaires avec un impact significatif sur la productivité des consultants.

·                         Des externes pour leur premier stage de DCEM3, tel que prévu par les textes et non appliqué faute de structure d’accueil. Leur modeste rémunération sera versée par l’ARS. Ils ne peuvent pas facturer d’actes, mais participent à l’activité et à la productivité des internes et des CCUMG.

·                         De médecins seniors au statut mixte : les MG libéro-universitaires. Ils ont le choix d’être rémunérés par l’ARS, subrogée dans la perception de leurs honoraires (avec une part variable liée à l’activité) ou de fonctionner comme des libéraux exclusifs pour leur activité de soin. Une deuxième rémunération universitaire s’ajoute à la précédente, liée à leur fonction d’encadrement et d’enseignement. Du fait de l’importance de la présence de ces CCUMG pour lutter contre les déserts médicaux, leur rémunération universitaire pourra être financée par des budgets extérieurs à l’éducation nationale ou par des compensations entre ministères.

Au-delà de la nouveauté que représentent les MUSt, il nous paraît nécessaire, sur le long terme, de repenser l’organisation du cursus des études médicales sur un plan géographique en favorisant au maximum la décentralisation hors CHU, aussi bien des stages que des enseignements.

En effet, comment ne pas comprendre qu’un jeune médecin qui a passé une dizaine d’années dans sa ville de faculté et y a construit une vie familiale et amicale ne souhaite pas bien souvent y rester ?

Une telle organisation existe déjà, par exemple, pour les écoles infirmières, garantissant une couverture assez harmonieuse de tout le territoire par cette profession, et les nouvelles technologies permettent d’ores et déjà, de manière simple et peu onéreuse, cette décentralisation pour tous les enseignements théoriques.

3) Incitation plutôt que coercition : des salaires aux enchères

Le choix de la MUSt pour le bref stage de ville obligatoire des DCEM3 se fait par ordre alphabétique avec tirage au sort du premier à choisir, c’est la seule affectation qui présente une composante coercitive.

Le choix de la MUSt pour les chefs de clinique et les internes se pratique sur le principe de l’enchère : au salaire de base égal au SMIC est ajouté une prime annuelle qui sert de régulateur de choix : la prime augmente à partir de zéro jusqu’à ce qu’un(e) candidat(e) se manifeste. Pour les MUSt « difficiles », la prime peut atteindre un montant important, car elle n’est pas limitée. Par rapport à la rémunération actuelle d’un CCU (45 000 €/an), nous faisons le pari que la rémunération globale moyenne n’excédera pas ce montant.

En cas de candidats multiples pour une prime à zéro (et donc une rémunération de base au SMIC pour les MUSt les plus attractives) un tirage au sort départage les candidats.

Ce système un peu complexe présente l’énorme avantage de ne créer aucune frustration puisque chacun choisit son poste en mettant en balance la pénibilité et la rémunération.
De plus, il permet d’avoir la garantie que tous les postes seront pourvus.

Ce n’est jamais que la reproduction du fonctionnement habituel du marché du travail : l’employeur augmente le salaire pour un poste donné jusqu’à trouver un candidat ayant le profil requis et acceptant la rémunération. La différence est qu’il s’agit là de fonctions temporaires (6 mois pour les internes, 2 ans pour les chefs de clinique) justifiant d’intégrer cette rémunération variable sous forme de prime.



Avec un tel dispositif, ce sont 6 000 médecins généralistes qui seront disponibles en permanence dans les zones sous-médicalisées : 3000 CCUMG et 3000 internes de médecine générale.

4) Un nouveau métier de la santé : AGI de MUSt

Les MUSt fonctionnent bien sûr avec une ou deux secrétaires médicales suivant leur effectif médical et paramédical.

Mais la nouveauté que nous proposons est la création d’un nouveau métier : Agent de Gestion et d’Interfaçage (AGI) de MUSt. Il s’agit d’un condensé des fonctions remplies à l’hôpital par les agents administratifs et les cadres de santé hospitaliers.

C’est une véritable fonction de cadre supérieur de santé qui comporte les missions suivantes au sein de la MUSt :
— Gestion administrative et technique (achats, coordination des dépenses…).
— Gestion des ressources humaines.
— Interfaçage avec les tutelles universitaires
— Interfaçage avec l’ARS, la mairie et le Conseil Régional
— Gestion des locaux loués à d’autres professionnels.

Si cette nouvelle fonction se développe initialement au sein des MUSt, il sera possible ensuite de la généraliser aux cabinets de groupes ou maisons de santé non universitaires, et de proposer des solutions mutualisées pour tous les médecins qui le souhaiteront.

Cette délégation de tâches administratives est en effet indispensable afin de permettre aux MG de se concentrer sur leurs tâches réellement médicales : là où un généraliste anglais embauche en moyenne 2,5 équivalents temps plein, le généraliste français en est à une ½ secrétaire ; et encore, ce gain qualitatif représente-t-il parfois un réel sacrifice financier.

Directement ou indirectement, il s’agit donc de nous donner les moyens de travailler correctement sans nous disperser dans des tâches administratives ou de secrétariat.
Une formule innovante : les « chèques-emploi médecin »

Une solution complémentaire à l’AGI pourrait résider dans la création de « chèques-emploi » financés à parts égales par les médecins volontaires et par les caisses.[1]

Il s’agit d’un moyen de paiement simplifié de prestataires de services (AGI, secrétaires, personnel d’entretien) employés par les cabinets de médecins libéraux, équivalent du chèque-emploi pour les familles.

Il libérerait des tâches administratives les médecins isolés qui y passent un temps considérable, sans les contraindre à se transformer en employeur, statut qui repousse beaucoup de jeunes médecins.

Cette solution stimulerait l’emploi dans les déserts médicaux et pourrait donc bénéficier de subventions spécifiques. Le chèque-emploi servirait ainsi directement à une amélioration qualitative des soins et à dégager du temps médical pour mieux servir la population.

Il est beaucoup question de « délégation de tâche » actuellement. Or ce ne sont pas les soins aux patients que les médecins souhaitent déléguer pour améliorer leur disponibilité : ce sont les contraintes administratives !
Former des agents administratifs est bien plus simple et rapide que de former des infirmières, professionnelles de santé qualifiées qui sont tout aussi nécessaires et débordées que les médecins dans les déserts médicaux.


Aspects financiers : un budget très raisonnable

Nous avons vu que la construction de 1000 MUSt coûtera moins cher que 5 ans de médicaments anti-Alzheimer ou qu’une vaccination antigrippale comme celle engagée contre la pandémie de 2009.

Les internes étaient rémunérés par l’hôpital, ils le seront par l’ARS. Les honoraires générés par leur activité de soin devraient compenser les frais que l’hôpital devra engager pour les remplacer par des FFI, permettant une opération neutre sur le plan financier, comme ce sera le cas pour les externes.

La rémunération des chefs de clinique constitue un coût supplémentaire, à la mesure de l’enjeu de cette réforme. Il s’agit d’un simple rattrapage du retard pris dans les nominations de CCUMG chez les MG par rapport aux autres spécialités. De plus, la production d’honoraires par les CCUMG compensera en partie leurs coûts salariaux. La dépense universitaire pour ces 3000 postes est de l’ordre de 100 millions d’euros par an, soit 0,06 % des dépenses de santé françaises. À titre de comparaison, le plan Alzheimer 2008-2012 a été doté d’un budget de 1,6 milliard d’euros. Il nous semble que le retour des médecins dans les campagnes est un objectif sanitaire, qui justifie lui aussi un « Plan » et non des mesures hâtives dépourvues de vision à long terme.

N’oublions pas non plus qu’une médecine de qualité dans un environnement universitaire est réputée moins coûteuse, notamment en prescriptions médicamenteuses. Or, un médecin « coûte » à l’assurance-maladie le double de ses honoraires en médicaments. Si ces CCUMG prescrivent ne serait-ce que 20 % moins que la moyenne des  autres prescripteurs, c’est 40 % de leur salaire qui est économisé par l’assurance-maladie.

Les secrétaires médicales seront rémunérées en partie par la masse d’honoraires générée, y compris par les « libéro-universitaires », en partie par la commune ou l’intercommunalité candidate à l’implantation d’une MUSt.


Le reclassement des visiteurs médicaux

Le poste d’Agent de Gestion et d’Interfaçage (AGI) de MUSt constitue le seul budget significatif créé par cette réforme. Nous avons une proposition originale à ce sujet. Il existe actuellement en France plusieurs milliers de visiteurs médicaux assurant la promotion des médicaments auprès des prescripteurs. Nous savons que cette promotion est responsable de surcoûts importants pour l’assurance-maladie. Une solution originale consisterait à interdire cette activité promotionnelle et à utiliser ce vivier de ressources humaines libérées pour créer les AGI.
En effet, le devenir de ces personnels constitue l’un des freins majeurs opposés à la suppression de la visite médicale. Objection recevable ne serait-ce que sur le plan humain. Ces personnels sont déjà répartis sur le territoire, connaissent bien l’exercice médical et les médecins. Une formation supplémentaire de un an leur permettrait d’exercer cette nouvelle fonction plus prestigieuse que leur ancienne activité commerciale.
Dans la mesure où leurs salaires (industriels) étaient forcément inférieurs aux prescriptions induites par leurs passages répétés chez les médecins, il n’est pas absurde de penser que l’économie induite pour l’assurance-maladie et les mutuelles sera supérieure au coût global de ces nouveaux agents administratifs de ville.
Il s’agirait donc d’une solution réaliste, humainement responsable et économiquement neutre pour l’assurance maladie.


Globalement, cette réforme est donc peu coûteuse. Nous pensons qu’elle pourrait même générer une économie globale, tout en apportant plusieurs milliers de soignants immédiatement opérationnels là où le besoin en est le plus criant.

De toute façon, les autres mesures envisagées sont soit plus coûteuses (fonctionnarisation des médecins libéraux) soit irréalisables (implanter durablement des jeunes médecins là où il n’y a plus d’école, de poste, ni de commerces). Ce n’est certainement pas en maltraitant davantage une profession déjà extraordinairement fragilisée qu’il sera possible d’inverser les tendances actuelles.


Calendrier

La réforme doit être mise en place avec « agilité ». Le principe sera testé dans des MUSt expérimentales et modifié en fonction des difficultés rencontrées. L’objectif est une généralisation en 3 ans.
Ce délai permettra aux étudiants de savoir où ils s’engagent lors de leur choix de spécialité. Il permettra également de recruter et former les maîtres de stage libéro-universitaires ; il permettra enfin aux ex-visiteurs médicaux de se former à leurs nouvelles fonctions.


Et quoi d’autre ?

Dans ce document, déjà bien long, nous avons souhaité cibler des propositions simples et originales. Nous n’avons pas voulu l’alourdir en reprenant de nombreuses autres propositions déjà exprimées ailleurs ou qui nous paraissent dorénavant des évidences, par exemple :

·                         L’indépendance de notre formation initiale et continue vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique ou de tout autre intérêt particulier.
·                         La nécessité d’assurer une protection sociale satisfaisante des médecins (maternité, accidents du travail…).
·                         La nécessaire diversification des modes de rémunération.
Si nous ne rejetons pas forcément le principe du paiement à l’acte – qui a ses propres avantages –, il ne nous semble plus pouvoir constituer le seul socle de notre rémunération. Il s’agit donc de :
— Augmenter la part de revenus forfaitaires, actuellement marginale.
— Ouvrir la possibilité de systèmes de rémunération mixtes associant capitation et paiement à l’acte ou salariat et paiement à l’acte.
— Surtout, inventer un cadre flexible, car nous pensons qu’il devrait être possible d’exercer la « médecine de famille » ambulatoire en choisissant son mode de rémunération.
·                         La fin de la logique mortifère de la rémunération à la performance fondée sur d’hypothétiques critères « objectifs », constat déjà fait par d’autres pays qui ont tenté ces expériences. En revanche, il est possible d’inventer une évaluation qualitative intelligente à condition de faire preuve de courage et d’imagination.
·                         La nécessité de viser globalement une revalorisation des revenus des généralistes français qui sont aujourd’hui au bas de l’échelle des revenus parmi les médecins français, mais aussi en comparaison des autres médecins généralistes européens.
D’autres pays l’ont compris : lorsque les généralistes sont mieux rémunérés et ont les moyens de travailler convenablement, les dépenses globales de santé baissent !



Riche de notre diversité d’âges, d’origines géographiques ou de mode d’exercice, et partageant pourtant la même vision des fondamentaux de notre métier, notre communauté informelle est prête à prendre part aux débats à venir.

Dotés de nos propres outils de communication (blogs, forums, listes de diffusion et d’échanges, réseaux sociaux), nous ambitionnons de contribuer à la fondation d’une médecine générale 2.0.






[1] À titre d’exemple, pour 100 patients enregistrés, la caisse abonderait l'équivalent de 2 ou 2,5 heures d'emploi hebdomadaires et le médecin aurait la possibilité de prendre ces "tickets" en payant une somme équivalente (pour arriver à un temps plein sur une patientèle type de 800 patients).